Mon Maitre me rappela  en tout début aout 2002, peu après le stage estival afin de vérifier si j’avais bien entrepris les démarches nécessaires pour mon billet d’avion et surtout m’être assuré du  retour  validé de mon visa,  en l’occurrence une soit disant formalité qui n’aurait jamais pu se régler favorablement sans  l’étroit suivi et le vraisemblable coup de pouce d’une personne, mère d’un de mes petits élèves,  employée à la mairie de St Germain. Il me rappela le contexte de ce voyage destiné à encadrer, grâce à l’appui des trois assistants qui allaient l’accompagner, un groupe japonais composé d’une cinquantaine d’élèves,  tous émanant bien sur d’écoles concurrentes, souvent hauts gradés, mais à ses dires tous très motivés pour progresser dans notre méthode. Le stage serait, au point de vue organisationnel cornaqué par encore un autre bénévole, un certain Shoji Takeda, ancien collègue de faculté  de notre maitre lors de ses études au Japon. Les cours réguliers de ce groupe étaient assurés deux fois par semaine, par Keniji Oriomori, dit KEN, un jeune prometteur depuis peu dans l’école, ayant studieusement suivi  le stage de Pesc cette année là. Sensei me précisa qu’une visite serait également programmée  dans le courant du séjour, au sponsor de Yamatsu Ryu Nippon, soit un certain Mr Kanata, PDG du troisième fabricant de console de jeux vidéo après Nintendo et Sega. Sensei insista si lourdement sur le comportement exemplaire qu’il souhaitait que nous ayons en cette occasion, que je me sentis considéré comme un potentiel malappris et un vil primate en puissance . Comme s’il craignait, par exemple, que nous déféquions dans la douche, alors qu’il nous avait lui-même confié que de telles choses s’étaient produites dans les années soixante, lors des premiers stages dirigés en Occident par des experts japonais, lors que ceux- ci, ignorant leur finalité, s’étaient copieusement assumés dans les bidets des hôtels.

Selon  l’aune d’appréciation du monde des affaires, Mr Kanata est un homme qui,  a largement réussi. Mais  en tant que fils  d‘un peintre français et lui-même artiste dans l’âme, il estimait que malgré l’empire qu’il avait bâti, le soleil ne s’y était pas levé comme il l’entendait, que ses rémunérateurs rayons n’avaient pas réchauffé sa vie comme son tempérament l’incitait  à le faire. Parvenu à la cinquantaine, il réalisa à son grand regret qu’il lui était  impossible de faire machine arrière pour  entreprendre quelque chose de nouveau et réorienter le cours de son existence. Tombé un jour littéralement amoureux de la pratique de notre maitre basée  sur la noble recherche et la culture di « ki », il se rattrapa, en quelque sorte en lui assurant un confortable  support financier, aussi, en médiatisant son art sur le sol  japonais et les pays environnants. C’est ainsi grâce à lui que des DVD enfin professionnels  ont  ainsi pu être réalisés. C’est grâce à lui qu’un groupe est né, a grandi au Japon, au sein duquel notre maitre a pu entreprendre de former de jeunes élèves, souvent engoncés dans la raideur des méthodes dites traditionnelles. Mr Kanata était allé jusqu’a détacher un cadre salarié de son l’entreprise, lequel  se consacrait exclusivement  à  la diffusion de la méthode de notre école, selon l’organisation de stages tournants et la communication d’articles dans la presse spécialisée.  Ce cadre n’était autre que ce Shoji Takeda, lequel allait nous servir de guide pour la durée  de notre séjour.

C’est dans le but de faire progresser ce groupe que Sensei se rendait maintenant courageusement chaque mois au Japon, depuis le début de l’année. C’est dans le cadre de ces voyages qu‘il proposa  à certains adeptes européens de 1’accompagner en tant qu’assistants. Cette collaboration, demeurant  malgré cela assez curieusement entièrement à la charge des assistants,  était chaque fois  assortie de dimensions touristiques et culturelles qu’offre ce pays, selon la mise en place d’un programme alliant pratique, tourisme et shopping,  C’est dans cet objectif que fut  programmé ce voyage de 1’été 2002, lequel devait   initialement rassembler une douzaine de participants.  Le groupe se limitera  finalement à trois personnes, en l’occurrence, Alan Strull,  Francesco Lossena,  professeur et président de la structure italienne, et moi-même. Le départ fut  fixé au mercredi 07 août, de 1’aéroport Charles de Gaulle..

MERCREDI 07 AOUT ET JEUDI 08 AOUT 2002.

Sensei nous a fait profiter  à tous trois du tarif préférentiel dont il bénéficie sur tous ses vols sur  la compagnie Japonaise ALL NIPPON AIRWAYS, ce dont nous lui saurons gré, compte tenu du différentiel ainsi non négligeable ainsi économisé. Le rendez vous a lieu a 1’aéroport. Sensei et Alan sont sur place les premiers. J’arrive deux heures avant 1’embarquement, non sans un long égarement préalable dans les diverses aérogares, puis, avoir ébauché, bien malgré moi, la visite non guidée de tous les terminaux du coin, au sein desquels il ne me fut possible de m’orienter que grâce aux seules indications prodiguées par les  agents de surface armés de balais et de serpillères,  à défaut de trouver dans cette pétaudière qu’est CDG une personne aimable et patiente , oisive derrière un des nombreux guichets. Puis, une fois  réunis, le temps passant à toute allure, nous nous sommes tous trois faits à la regrettable  perspective d’effectuer ce voyage  sans Francesco,  toujours pas arrivé une heure avant 1’embarquement. Tout a coup, Sensei aperçoit une lueur lui paraissant  familière qui  n’était  autre que le reflet des néons plafonniers sur le crane rasé de notre immense ami transalpin, en retard, mais, à l’instar de notre maitre,  insouciant et  hilare du haut de son double mètre. L équipe est au complet: nous sommes partis. Il est 21 heures française.

Le vol s’avère plutôt agréable, dans la mesure où Sensei a obtenu de la compagnie que nous soyons placés au fond  de 1’appareil, où quelques travées entières de siège demeurent disponibles qui nous permettront, a tour de rôle, de nous allonger et de dormir pendant une partie des douze heures que va durer ce vol. Agréable, aussi, car le  service à bord s’avère efficace, rapide, prodigué par des hôtesses souriantes, disponibles  et affables sans être obséquieuses, dans la mesure, enfin et surtout, ou nous sommes heureux et fiers, de partir avec Sensei, notre maitre.  Le vol s effectue sans histoires.  L’atterrissage à Tokyo Narita a lieu comme prévu à cinq heures, heure japonaise. Il y a sept heures de décalage horaire avec la France. L’organisation aéroportuaire  y est impressionnante d’efficience, de rigueur et de rapidité. Quelle différence avec là d’où nous venons ! Le  premier choc est thermique, qui a lieu immédiatement a la sortie de 1’avion.  Une chape de plomb en fusion nous dégringole sur les épaules ; il  fait 35°, d une chaleur lourde, moite et poisseuse. Nous avons à peine le temps de tenter de  nous y adapter, que le second choc, culturel, celui là,  a lieu  immédiatement après, sous la forme d’un mini incident dont Alan est à la fois le héros et la victime : Sensei se précipite dès sa sortie de l’avion,- très rapidement, selon sa propres fréquente expression et  comme il le fait constamment à tous propos- vers les guichets du service immigration pour ressortissant ayant un passeport japonais. Alan, croyant bien faire,  le suit pour ne pas se laisser distancer, puis, d’être en mesure de le rejoindre, d’une élégante flexion bustière,  passe acrobatiquement sous une corde de séparation de file d’attente. Il est alors  immédiatement pris à parti par un employé zélé à casquette de l’aéroport, soufflant comme un perdu dans son sifflet afin de  lui signifier clairement, mais fermement d’ un doigt pointu et vengeur, qu’ il convient qu’ il s’insère dans la queue de la bonne file,  soit celle des passeports étrangers et qu’il y attende son tour, enfin, que le signal lui soit donné pour franchir la ligne verte, avant de se rendre au guichet adéquat. Il  ne doit  sans doute pas y avoir le moindre  service immigration à la mairie de la Pureté St Albin, 45260, Loiret, patrie  d’accueil du fond de la France rurale de notre « SAMPAÏ »,  terme désignant en japonais le statut d’ancien de notre contrevenant à moustaches, dont le métier consiste pourtant la- bas, à  embastiller ceux sévissant dans sa lointaine circonscription ! Sensei nous avait fait part, dès 1’embarquement, de son souci quant a 1’hypothétique  perspective d’absence d’accueil à l’aéroport, compte tenu d un imprévu familial  majeur survenu a l’organisateur délégué, Mr Takeda. Mais un employé de la société sponsor  est pourtant bien là, muni d un panneau « Yamatsu ryu », qui nous embarque immédiatement à bord d un somptueux monospace véhicule de société Mitsubishi,  tel que je n’en reverrai jamais en France, muni d’ un immense habitacle, d une technologie de pointe assise sur une suspension moelleuse et surtout d’un indispensable système de climatisation modulable. Le choc suivant, d’ordre également culturel est conféré par la conduite à gauche, par le volant à droite, par l’intensité touffue de la circulation, par la nature étroite et sinueuse des petites routes de campagne ou de montagne bordées de rizières affleurant sur la chaussée rendant les demi-tours difficiles. C’est sans doute pour tout cela qu’Alan, sans doute bercée par 1’air de la chanson de Marylin, « Rizières sans retour », nous fait part de\l’émotion qui 1’habite en ces instants de retrouvailles avec cette terre nippone qu’il adore, vingt cinq ans après ses deux premiers voyages, dans ce pays  avec lequel il semble renouer non sans émotion.  Au Japon, les distances ne se mesurent pas en termes de kilomètres compte tenu des aléas de relief et de sinuosité ci- avant explicités, mais en terme de temps. Nous mettons donc près de trois heures pour couvrir les quelques cent kilomètres qui nous séparent de notre lieu de destination Katsu -Ura, petit port de pêche au nom barbare et difficile à retenir, malgré une astuce mnémotechnique facile,  à quatre sous- hourra de  l’heure. Katsu-Ura est connu pour son gigantesque centre international de Budo rattaché au Budokan de Tokyo, où sont organisés de nombreux stages de masse d’Arts Martiaux, le judo et le kendo étant au Japon les plus pratiqués. Une nouvelle surprise sous sa plus pure forme de troisième choc culturel, nous attend dès 1’accueil dans le hall d’entrée du centre, en cela que  chaque visiteur est invité à y abandonner temporairement ses chaussures dans un petit casier numéroté, où se trouve, à sa disposition, une paire de zoris(tong)  en plastique vert qui chausseront dorénavant tous les déplacements a l’intérieur du centre. Enfin, presque …!  Notre chambre est située au troisième étage japonais, soit au deuxième étage occidental, le rez-de –chaussée nippon étant considéré comme un étage. Elle est dotée d’une superbe vue sur la mer et le port de pêche, est constituée de la parfaite juxtaposition de quatre tatamis vacants pour la convivialité et d un autre espace plus étroit, où sont disposés deux fois deux lits superposés, dont deux au niveau du sol, que les plus forts d’entre nous investissent très rapidement, sans état d’âmes pour le plus faible, selon un mutisme éloquent, représentatif de la ronflante certitude de leur niveau .Ces lits sont  eux même nantis de tatamis et de futons, de petits duvets légers et de minuscules oreillers durs apparemment remplis de matière végétale séchée.

Une fois les bagages installés dans la chambre que nous allons partager, Sensei nous entraîne, toujours « très rapidement »vers les OFURO, bains chauds collectifs, qui sont une véritable institution culturelle nationale. Le principe en est simple. Chaque jour, vers cinq heures, le Japon se baigne. Il existe des bains pour hommes, d’autres pour femmes. Chacun, une fois entièrement déshabillé, place ses effets personnels dans un casier. On accède alors a une immense salle de bain, partagée en deux parties distinctes. Dans la première, chacun se voit muni d’un petit tabouret et d’une cuvette en plastique dans laquelle il pourra effectuer ses ablutions savonneuses, accroupi devant des douches surbaissées. Le principe en est finalement plus pratique qu’en occident, dans la mesure où la toilette des pieds, au Japon prépondérante, devient plus accessible, ce que ne renie pas Francesco avec son quasi double mètre.  Une fois rincés, re-rincés, archi-rincés, car il en s’agit pas que subsiste la moindre trace de savon, l’accès au bain chaud lui-même est autorisé, dans la seconde partie, où sont disposées de véritables piscines d’eau chaude, selon des températures différentes. Au japon, il convient donc de se savonner avant de se laver, de se récurer avant que de se baigner, puis, de se rincer soigneusement en faisant en sorte de n’abandonner où que cela fut, le moindre poil suspect ! Notre maitre, une nouvelle fois se montre très tatillon sur ce point, insistant presque jusqu’à la démesure afin  que notre hygiène demeure irréprochable, au poil prés. Il est donc pour lui absolument hors de propos que  le moindre de nos  misérable cheveux, poil  pectoral et surtout autre, plus frisé, ne s’égare malencontreusement dans cette onde si pure et accueillante. Cest alors que je suis alors fort opportunément  esbaudi par l’intrusion bruyante1et éclaboussante d’un colosse indigène aux jambons poilus comme ceux d’une mygale adulte mâle,  juste arrivé là pour démentir aux yeux courroucés de notre maitre, la glabre vérité inhérente à un peuple nippon lisse et poupin. Pour un peu, je bénirais l’arrivée de ce Spider-San, le gratifiant d’un retentissant « merci d’être velu » . Alan et Francesco, d’un regard éloquent, m’enjoignent de m’abstenir, Sensei  ne pratiquant pas vraiment le même type d ‘humour que moi. A peine installé dans ce bain bienfaisant, Sensei attire notre attention sur le possible danger d’un ramollissement général pour les non initiés.  Mais, une fois cette recommandation prodiguée, il sort à toute allure. A vrai dire  je crois qu’il a très faim et qu’il s’est déjà projeté sur le repas, comme si le moment présent représentait un obstacle temporel devant à tout pris être occulté afin de plus vite pénétrer celui attendu  Nous nous rendons, une fois séchés et rhabillés, au réfectoire, ou nous attendent quelques  stagiaires japonais.

Je suis immédiatement frappé par la qualité de l’organisation, par la propreté du réfectoire. Une grande desserte centrale équipée de bacs chauffants en acier rutilant remplis d’un choix soigné de nourritures variées permet à chacun de se servir à sa guise. Au Japon, le repas du soir est copieux. Pâtes, légumes crus et cuits,  poisson, œufs brouillés, riz blanc incomparablement savoureux, arrosé de thé vert froid sont mis à volonté à notre disposition. Sur les tables, se trouve un bac acier comportant une vaste gamme  d’assaisonnement allant du wasabi, moutarde forte,  très forte,  au raifort à la sauce au soja, en passant par celles sucrées ou piquantes. Très peu d’aliments à base de farines, outre celle de riz, s’insèrent dans la palette nutritionnelle nipponne. Ceux à base de  blé ou de laitage, bovins ou ovins, ne semblent pas faire partie, comme chez nous, du quotidien. A la fin du  repas, chacun, afin de contribuer à la collectivité, va scrupuleusement vider son plateau, puis,  prélaver sa vaisselle grâce à un astucieux système multi-jets, lequel permet aux préposés de gagner un temps précieux. Qualité, efficacité, travail d’équipe, solidarité, appartenance au groupe, participation, collaboration. Les qualités collectives de ce peuple décrites tout au long des  essais économiques et sociétaux  s’avèrent on ne peut plus exacts et fondés, jusqu’aux plus petites tâches dérisoires de la vie, de ceux qui forgent un peuple pour affronter des guerres.

Il est environ 22 h30 quant nous entamons la dernière partie de notre soirée dans le hall d accueil, semblable à celui de n’importe quel complexe sportif occidental. Des tables et des chaises y sont disposées à proximité d une impressionnante batterie de distributeurs automatiques  de boissons très variées et de friandises, autre institution japonaise. Une tournée de saké s’avère de circonstance pour fêter notre arrivée au Japon. Je suis en tout cas rassuré sur la faible teneur d alcoolémie de cette boisson qui va en principe, irriguer toutes les soifs de ce séjour. C’est ainsi que j’apprends que le saké n’est en fait pas plus alcoolisé que le vin, qu’il existe toutefois des liqueurs et eaux de vie de saké, montant jusqu’à soixante degré, lesquelles sont sans doute réservées aux samouraïs de haute glisse, lors de la grande descente …du Fuji Yama. Les cannettes d’eau minérale, sur lesquelles je tente de porter mon choix, moins percutantes,  se révèlent toutefois très difficiles à identifier dans la profusion de l’offre des distributeurs, tous renseignés  en caractère kanji. Sensei et Alan restant fermes sur le saké, Francesco et moi avons acheté et essayé, en vain, plus d une dizaine de canette, toutes aux  formes, couleurs, et contenus incertains, entre laitages versicolores et sodas exotiques, que nous avons fini, par manque de gout ou par prudence, par abandonner aux innombrables stagiaires nains judokas en keikogis , scotchés devant une autre batterie, Il s’agit de celle des téléviseurs diffusant, à 1’américaine, de bien trop accessibles  images sanglantes et barbares  d’un tournoi de combats de type UFC, ou Ultimate Fighting Corporation, pratique où combattent violemment, à l’intérieur d’une cage des paires de représentants tous les styles existant , sans quasiment d’interdits, ce jusqu’au K.O. ou l’abandon . Autorisées au Japon sur les écrans l’émission  de cette soirée constituera, sans que nous le sachions,  un signe avant coureur d’un grave évènement de notre séjour. Nous parvenons tous à  téléphoner en France pour rassurer nos familles respectives, même celles restées si loin, en Italie. Mr Kogure, récemment rencontré en France, grand spécialiste de l’enregistrement et de la distribution dans le monde entier, des cassettes vidéos martiales au Japon, nous rejoint en  fin de soirée afin de programmer le calendrier de celles des prises de vues destinées à d’autres documents didactiques consacrés à notre école.  La réunion n’aboutit à rien de constructif, Sensei ne cessant de digresser  avec Shoji, sur d’autres projets en cours au Japon, ce qui semble passablement agacer notre nouvel interlocuteur.

Nous sommes debout depuis près de vingt heures. Tous, nous accordons pour rejoindre les chambres.  La  chaleur est toujours la même. ll y a bien dans chacune d’elles un puissant système d’air conditionné, mais dont le mode d’emploi, toujours indiqué en kanji, ne nous est pas totalement accessible, outre le fait, très clairement pictogrammé, qu’il convient d’y glisser des pièces de monnaie afin d’obtenir un souffle béni de fraicheur ! Cent yens pour quatre heures d autonomie ! Nous acceptons ce prix élevé plutôt que  la perspective de bouillir. Mais personne  n’ayant suffisamment de monnaie et  les distributeurs de boissons s’étant  montrés plutôt voraces, aucun de nous assez de  courage pour aller en faire dans les lointains  échangeurs de billets de 1OOO  yens pris d’assaut par des adeptes sans doute plus fort et plus patients que nous, malgré la chaleur avec qui il conviendra de composer, nous  allons finalement nous coucher, épuisés, mais heureux !

Vendredi 09 Août 2002.

La fatigue du voyage, la chaleur, le décalage horaire, assortis des tonitruants ronflements de phacochère*  émis par Alain contribuent a ce que nous soyons tous  réveillés entre minuit et quatre heures. (*Porcin très velu des zones australes et subtropicales, doté de défenses, puissant, d’une agressivité chronique surtout manifestée par ses grognements). Même si nous parvenons à ne nous rendormir  que superficiellement sur le matin, nous  sommes aussitôt tirés de notre  tentative de léthargie par les hurlements des petits stagiaires judokas circulant, entre chambres, salle de bain, et toilettes. C’est dur et cela tombe mal, car il y a entraînement ce matin et cet après midi et avec Sensei, de surcroit et par cette chaleur !

Les toilettes … Elles auront été une autre grande découverte culturelle ! Au Japon, les WC. ne sont pas agrémentés du moindre siège. Ils  sont remplacés par une cuvette basse,  oblongue, encastrée dans le sol, devant laquelle il convient de s’accroupir, le dos tourné  à la porte, ce que nous mettons plusieurs préoccupantes minutes à comprendre avant de pouvoir nous soulager. Ce principe n’est en fait pas plus mal qu’un autre, si ce n’est pour les mixions liquides debout pour lesquelles il convient de viser juste et longtemps, afin de ne pas s’éclabousser les doigts de pieds. C est peut-être là la raison pour laquelle  les japonais changent de chaussure avant d’entrer aux toilettes: selon le même système que dans le hall d entrée, des’ zoris cette fois rouges étant laissées à disposition des gens de passage, charge à eux de les changer par les vertes en repartant, vertes pour les hommes, bleues pour ces dames ! Ce matin la, il s’avère que nous ne sommes décidemment pas très frais. Nos paupières lourdes comme des boutonnières en peau de bœuf ne nous aident en rien à déchiffrer les caractères kanji placés à 1’entrée de la salle de bain, ou même, de plus  éloquents pictogrammes destinés aux étrangers. J’emboite donc « aveuglément »  le pas d’Alan, lequel, fort de sa culture japonaise,  nous fait assurément investir en trombe l’une des salles de  bains, à cette heure curieusement inoccupée malgré le brouhaha ambiant. Nous nous déshabillons tous entièrement, afin de passer sous la douche. C’est alors que s’approche un des jeunes stagiaires de notre groupe, le visage décomposé, se tordant les mains, terrifié à la perspective de formuler une  remarque à des sampais ! Il tente de nous expliquer la situation  tout d’abord en japonais, puis, réalisant que nous ne comprenons ni les uns ni les autres ce qui peut bien se passer, il embraye dans un anglais approximatif, mais à la longue bienvenu, selon des phrases parcellaires du type « You.big trouble, these,.. wemen’ s lavatories,  prohibited  men, …not remain naked …sorry.. » Autrement dit, évoluant dans le plus simple appareil, nous procédions là, sereinement a nos ablutions dans l’une des salles de bain de ces dames, ce qui ne constituait pas vraiment une bonne entrée en matière dans notre tentative de donner l’image de gens moins barbares qu’ils n y paraissent.

Notre stagiaire, voulant marquer son respect et sans doute son soulagement à grands coups de courbettes obséquieuses  nous recommande, aussi de ne surtout  pas omettre en sortant, de récupérer les bonnes zoris, les vertes, pour nous présenter ensuite au réfectoire ou nous attendait Sensei, comme souvent de fort mauvaise humeur le matin. Lorsqu’une journée  est mal engagée, les moindres actes consécutifs  à celui en premier  lieu raté au petit jour, s’enchainent le plus souvent  en une  théorique cascade d’emmerdements, comme pour le jeu des dominos. Cela continue donc au réfectoire. J’ai, une fois à table, la très curieuse impression que notre maitre  s ingénie à donner l’impression de ne pas vouloir me parler, me répondre, ni même me regarder, voire, me connaitre. Silencieux, il fixe, droit devant lui, expédiant son petit déjeuner à toute allure. L’explication ne tarde pas à se dessiner, en cela que plusieurs stagiaires hilares nous font comprendre, soit dans une inabordable  tirade nippone, soit montrant du doigt la direction de nos pieds autour desquels il aurait été préférable de ne pas  garder  les zoris rouges pour circuler dans le centre et surtout au réfectoire.

Caustique, se dévoilant enfin, manifestement honteux de ses accompagnants, Sensei ajoute en français, puis en japonais pour l’auditoire, provoquant un tonnerre de rire,  qu’en France, cela équivaudrait à se promener au restaurant affublé d’un slip sale sur la tête. La menace occidentale se précise  et s’intensifie, d’autant qu’Alan et Francesco eux, ont étourdiment conservé les zoris bleus, celles dédiées aux femmes ! Un café très noir et très fort s’avèrerait de circonstance !  Mais, au Japon,  le café n’est que très rarement servi à table ou ailleurs.  Je me fais donc à 1’idée qu’il sera pendant tout le séjour remplacé par de compensatoires coups de sifflet brefs. J’en viens à plutôt  m’intéresser  à ce que nous propose notre premier petit déjeuner nippon : Très copieux, il nous est laissé à disposition et à volonté, comme pour le diner, soupe chaude de riz et de légumes entiers, œufs brouillés,  salade,  épinards froids,  poisson, algues à l’épouvantable arrière gout de poiscaille adulte avariée,  thé froid, et riz blanc, chaud. Sensei tente, avec un malin plaisir, de me réhabiliter en m’initiant avec sollicitude à la préparation du riz aux fèves de soja gluantes, me les concoctant consciencieusement avec des baguettes, m’expliquant qu’il s agit d’une bombe énergétique, puis,  attendant soigneusement que j’ai absorbé les premières bouchées et me sois victorieusement débattu  avec d’interminables filaments collants verticaux, pour me dire, en rigolant que les occidentaux, en général, apprécient mal type de met ou ne le digèrent pas, ou encore, s’avouent contraints de se dresser pour parvenir à couper les filaments adhésifs exponentiels. Mais j’avoue que j’aurais sans doute eu plus de problèmes, surtout le matin a jeun, à absorber une composition à base d’algues, dont Alan s’est ignominieusement goinfré tout au long de notre séjour.

Le premier « KEIKO » (entrainement) a lieu à 9 h 30 précise. Nous faisons la connaissance du reste des stagiaires. Non sans une respectueuse déférence due à notre qualité de « SAMPAÏ » (ancien), ils nous accueillent plus que chaleureusement à la porte, avec  secouées de  main interminables,  sourires conviviaux et bien sur, force courbettes à répétition. Peut être tout cela est aussi du au fait que tous, portons,   enfin,  les zoris adéquates ?

Le keiko,(entraînement) a lieu dans un magnifique «DOJO»(salle d’entrainement) d’environ deux cent mètres carrés, nanti d un plancher en bois clair et sur deux des côtés, de cloisons habillées  de «TATAMIS »  beiges (tapis épais d’entrainement ). De  nombreuses ouvertures sur l’extérieur édulcorent la chaleur étouffante qui commence à apposer son inexorable sceau. Ce superbe espace d’entrainement est contigu à un autre dojo, celui là immense, semble t’- il dix fois plus grand que le nôtre, où s’ébattent, par groupes séparés, les myriades de petits Judokas et kendokas  que nous apercevons, minuscules, tout au fond. Leur travail est rythmé au son alternatif du tambour et du GORE  (rythme donné par la voix)  de leur Sensei. Dehors, de drôles d’oiseaux, que je n’ai pas réussi à apercevoir, poussent à intervalles réguliers, de longs cris tonitruants  scandalisés, bien que nous nous soyons entre temps dument déchaussés. Le concert continu des cigales constitue un accompagnement grinçant  parfois gênant pour les explications de Sensei, que je renonce très rapidement à déchiffrer, puisqu’en Japonais. Le keiko se déroule non sans un dérangeant préalable selon lequel  Sensei rappelle, non sans humeur, à ses assistants français  et me semble t-il, à moi plus particulièrement, que nous participons à ce stage en tant que gradés de son école, qu’il convient  donc que nous y fassions bonne figure, en nous appliquant davantage qu’à l’accoutumé et ainsi imprégner du meilleur exemple possible, tous les stagiaires. Après une entrée en matière classique, avec le « KIKO » (qiqong) du Dr Tokima, le travail s’étage autour du « KATA »(forme, enchaînement)) de CHEN,(’école chinoise traditionnelle de tai chi chuan )  abordé au grand ralenti, puis retravaillé en enchainement rapide, puis en le scindant technique par technique, qui seront ensuite répétées sous forme de « KIHON », (techniques répétées, en déplacements linéaires ) puis, appliquées par deux selon les rigoureuses démonstrations de Sensei et d’Alan . Les quelques partenaires avec lesquels il m’est donné de collaborer n’ont pas encore intégré la moindre notion de densité interne, ce qui ne manque pas de me surprendre. Désireux de montrer ce qu’ils savent faire à un «SAMPAÏ » (ancien) étranger, ils font, en fait, un peu plus de ce qu’ils savent faire, bien que de strictes consignes relatant l’esprit conventionnel de cet exercice par deux (« KUMITE ») aient à maintes reprises été reformulées. Ainsi, malgré leur ceinture noire délavée, leur rigidité cambrée et leurs hurlements  stridents, aucun ne me semble être à la hauteur du niveau qu’ils croient avoir. Aussi, bien qu’encaissant un maximum de coups aussi peu contrôlés qu’ils sont nerveux et partiels, je m’efforce bien sur de  demeurer sur une réserve constante et autant que «férir » se peut, afin d’éviter tout potentiel incident d’ambassade.

La douche, « très rapidement prise »  nous voici au réfectoire ou nous attends un très léger repas de midi, essentiellement composé de  riz et  poisson à la sauce piquante. Un curieux dessert coloré gélatineux s’obstine à  trembloter sordidement dans son plat  pendant encore plusieurs minutes après qu’on l’ait  été posé sur la table. Les judokas nains, qui prennent décidemment beaucoup de place,  semblent en être friands. Tous munis d’une cuillère, ils convoitent en meutes tourbillonnantes tous les fonds de plat qui n’ont pas été achevés ou parfois même  pas entamés, le sucré n’étant que peu apprécié au Japon. Ils font ainsi bruyamment  le tour des tables pour en récupérer le précieux rabiot. Parvenus à la notre, plusieurs d’entre eux s’arrêtent net, comme fascinés par les cranes rasés d’Alain et de Francesco, ainsi que par ma barbe.  Plusieurs d’entre eux viennent même à pas de louveteaux la caresser subrepticement du bout d’un doigt trouillard, pour reculer brusquement en gloussant, d’un cri strident.  Une tentative de sieste réparatrice-se trouve à nouveau entachée par la virulence des ronflements d’Alan, ceux-ci s’apparentant celle fois au tapir, animal subtropical, également velu, mais doté d une trompe, comme celle des navires perdus au fond d’une épaisse brume marine, sans espoir de retour.  La sieste est brusquement  interrompue par Shoji, venus nous chercher  pour nous rendre, « très rapidement » selon la formulation de Sensei, à une séance de photo presse au cours de laquelle nous posons, à tour de rôle avec Sensei, dans des postures martiales, pour des besoins journalistiques.

Le deuxième entrainement a lieu dans le même dojo,  à 15h 30 précise. Sensei développe son cours autour  de répétitions enchaînées lentement cette fois ci des deux première sections du tai chi de synthèse,  lesquelles ont d’ailleurs  été mise en boite par les spécialiste vidéo de l’équipe de QUEST, l’entreprise de prise de vues et vente de DVD de l’adorable YUJI KOGURE, également présent pour superviser techniquement cet outil didactique destiné à être ultérieurement publié lors d’émissions télévisuelles dédiées à la promotion de notre école au Japon. Chaque technique est ensuite décortiquée, geste par geste, auxquels sont reliés une posture connexe  d’accumulation énergétique, puis travaillées individuellement en explosion, ce qui semble toujours autant poser de problèmes  à pas mal de stagiaires, notamment ceux habitués a travailler avec un « KARATEGI » (vêtement d’entrainement pour le karaté). Rassurés par l’épaisse matière du tissu, ils en font claquer victorieusement la manche en hurlant et en roulant des yeux fous,  pensant ainsi avoir réussi leur émission  de force  (FA-LI, chinois) en exécutant ainsi leur « TSUKI » (coup de poing direct) Les réductrices  méthodes de compétition basées sur la raideur comme crédo, ont, semble t-il causé, même au Japon, pays pourtant initiateur et producteur du Budo et du karaté, les mêmes ravages interprétatifs et pandémiques qu’en occident .

Vient le temps des « KUMITE » (échanges par deux) ! Sensei en modifie les consignes, par rapport à celles, plus conventionnelles du matin, nous invitant cette fois ci, à entrer dans une forme légère de combat libre total,(« JYU KUMITE ») avec pour recommandations l’optimisation des quelques techniques abordées auparavant lors de l’étude des séquences des deux  tai chi. Sensei nous avait demandé à tous trois de venir en stage chacun avec deux casques dans nos bagages,  afin qu’un maximum de japonais, pas encore équipés, puissent s’exercer. C’est ainsi que nous allions tout trois découvrir que la plupart de ces stagiaires, gradés ou pas, n’avaient  jamais combattu avec des protections .Nous sommes alignés, Alan, Francesco et moi, afin de subir les assauts successifs des stagiaires, selon un décalage frontal glissant lors de chaque renouvellement de partenaires. Je tombe pour le premier engagement, avec notre ami du matin, gardien, lui, du temple des toilettes de ces dames, victime d’emblée sacrificielle destinée à chèrement vendre sa peau malgré le caractère studieux de l’opposition,  tendu comme une chair à canon à son corps défendant propulsée en première ligne. Il n’est pas équipé avec le matériel adéquat, en cela qu’outre d’énormes gants de boxe anglaise, il porte un de ces casques intégraux en plexi -glass, semblable à celui de Tournesol dans « Objectif Lune ». De ces casques, au demeurant hors de prix, qui assurent une telle protection qu’il  est possible de beaucoup et longtemps « encaisser », selon une protection s’inscrivant dans le détriment de la recherche du travail d’esquives en déplacement et de la mobilité,  chers à notre maitre. Leur concept, recelant une dimension de bucherons lunaires mal dégrossis, permet, en encaissant ainsi impunément, de rendre dans le même temps, coups pour coups, selon le débile principe de  l’école japonaise qui a conçu cette manière de « travailler », dont je me suis efforcé d’oublier le vocable.  Leur forme de combat ne peut s’apparenter qu’à un pugilat de primates, obscène, désordonné, violent, ne comportant pas la moindre perspective de stratégie  ni de progression et surtout,  n’ayant  absolument plus rien à voir avec la réalité du combat libre et de la dangerosité qu’il confère. Ce type de barbarie  s’avère, qui plus est on ne peut plus dangereux  pour la colonne cervicale .Certains assaut vont ainsi jusqu’au  KO, ce qui nous laisse présager quelques douceurs à venir avec ce particulier, déjà repéré le matin lors des kumite pourtant bien conventionnels. Sensei donne le signal de l’engagement des combats , non sans avoir à nouveau formulé les sacrosaintes consignes inhérentes au principe du « ATO- UCHI », ou coup de la honte, soit celui qu’on assène par frustration alors qu’on vient soi même d’en prendre plein la tête, le casque ayant absorbé tout danger et en quelques sortes nous ayant préservé des désagréments douloureux, aussi des apparences saignantes et traumatisantes;  l’égo s’enflamme alors, laissant s’ouvrir les vannes de la honte  d ‘avoir été marqué, et répliquant immédiatement avec la plus intense mauvaise foi . Mon japonais « bullé » que je surnommerai « Bu-bulle » jusqu’à la fin du stage, se sachant hyper protégé par son casque, s’approche inconsidérément, avec une garde basse et ouverte. Son déplacement linéaire me semble vulnérable, prévisible, son intention lisible. 1l m’est donc facile de le toucher net d’un direct dans le casque alors même qu’il s’élance avec un coupable appel. Mon coup est contrôlé de telle façon que je  n’attente pas à son intégrité cervicale, mais suffisamment appuyé pour qu’il sente qu’il  serait allé par terre sans son casque. Mais son odorat, sans doute occulté par le dit casque  ne semble pas receler ce type de subtilité. Immédiatement après ce coup gagnant, considérant sa maitrise   de la langue japonaise probablement supérieure à la mienne et par la même estimant qu’il avait forcément intégré les consignes fraiches du maitre, mon attention s’émousse un instant, alors que je me préparais pour le second assaut avec lui. J’encaisse deux  violents Ato -uchi ( coup de la honte) en pleine poire, agrémentés d un puissant coup de pied circulaire ( « MAWASHI GERI CHUDAN) les fesses,  sans doute destiné a  m’apprendre à m’orienter dans les communs du centre, et, le cas échéant, à vérifier ultérieurement, avec mon médecin traitant, si toutefois je ne suis pas atteint de daltonisme aigue et précoce, pour ainsi  confondre aussi facilement le rouge et le vert.

Nous apprendrons, par la suite que cet aimable sujet de son Empereur est policier de son état, autrement dit adepte du casque lourd. Je dirai même plus, lourdingue !

Le deuxième combat me permet de rencontrer KENICHI, dit KEN,  (chargé des cours au Japon, en l’absence de Sensei). Il nous a  fait l’immense plaisir de participer cet été au stage estival en France,  où il m’a d’ailleurs fait l’honneur de venir étudier dans mon groupe, sous ma direction. Le principe et l’esprit du travail de notre maître me semble avoir été parfaitement  assimilés chez ce garçon réservé, travailleur, respectueux, de toute manière plus qu’avancé  et doué. Sa protection est beaucoup plus soignée que celle de Bu-bulle, qui lui permet de scanner son adversaire, cherchant attentivement  une possible ouverture qu’il tente à plusieurs reprises de provoquer  ou par un geste, une esquisse,  un regard. Ses  déplacements beaucoup plus subtils, sa culture de la distance préoccupante de par sa légèreté lui conférant une grande mobilité. Mais l’interne manque encore beaucoup ; s’il respecte les touches gagnantes sur le casque sans apposer le moindre Ato-Uchi, il encaisse par contre mal sur le plastron par manque de densité, sans doute par déficit d’heures de posture. Mais que de progrès réalisés, ne serait ce que depuis ce stage estival  pour quelqu’un  qui a commencé il y a à peine un an. Ken, se murmure t-i,  est pressenti pour quitter le Japon et assurer, plus tard, des cours aux USA  où il créerait une nouvelle entité, agrandissant encore de notre école. Je sens qu’un jour, il sera très fort. Sensei le veut.

Le troisième combat me met  face à l’autre jeune stagiaire ayant accompagné cet été Ken, Iyo. Lui aussi respectueux, calme, travailleur, ce jeune d’à peine  dix huit ans, physiquement transparent car ne devant peser qu’une maigrichonne cinquantaine de kilos,  est inconsidérément mobile,  au point de lancer inconsidérément des attaques frontales soudaines mais totalement découvertes lui conférant un profil de KAMIKAZE (vent des dieux, suicidaire).Lui ne semble pas encore avoir  assimilé le protocole des touches et des coups «après ». Mais  son esprit est excellent, sa marche de progression énorme et son désir d’apprendre feront sans nul doute de lui un excellent  élément, quoique handicapé par sa taille moustique définitive. 1

Francesco est opposé a un costaud a lunettes, ex- adepte haut gradé du « SHORINJI- KEMPO »  lequel ne semble avoir qu’un seul objectif : l’agripper et l’entrainer  au sol où il semble plus à l’aise. Le problème est qu’il ne tient absolument pas compte des magnifiques nets coups d’arrêt que notre  ami transalpin lui décoche à répétition en plein casque avec son quintal, non sans y apposer toute la mesure  nécessaire, compte  tenu de sa force herculéenne

Malgré le combat à chaque assaut perdu, après s’être fait  aplatir le museau pour la énième fois, s’accrochant comme une sangsue écrasée à son bourreau, il parvient à enserrer les jambes de Francesco.

Les antagonistes roulent à terre, dans un désordre pugilistique faussé, sans plus la moindre cohérence de part et d’autre ! Sensei recommandera  à Francesco, après les combats, de ne plus être aussi gentil. Il ne manque pas de me gourmander pour la même raison, le coup de pied aux fesses de  maréchaussée ne lui ayant apparemment pas échappé. Quant à Alan, il ne m’a pas été possible de voir avec qui il avait préalablement travaillé. Mais je pus l’apercevoir, pour la troisième volée de combat, contre son collègue policier, s’asséner quelques échanges courtois à bâtons rompus dans le képi, traitant sans doute d’un différend relatif à la circulation de l’énergie susceptible de les amener à se   couper mutuellement le sifflet.

Le keiko se termine vers 17h30. Sensei nous entraîne (très rapidement) vers les ofuro, non sans ressasser sa phobie des poils, puis vers le réfectoire ou nous attend un copieux diner, auquel se joint Mr Kogure. Beaucoup parmi les stagiaires essaient de rompre la maintenant fine couche de glace interculturelle, certains tentant même de s’exprimer laborieusement en français. Leur anglais quoique rudimentaire, permet en tout cas de se comprendre, mais pas autant que les sourires et le désir mutuel  d’échanger et de se lier. La soirée se termine autour d’un feu d artifice offert par le groupe de stagiaires, agrémenté d un verre convivial essentiellement rempli de saké. La tradition du feu  d’artifice est une passion nippone pratiquée par  toutes les tranches d’âge et toutes les classes sociales. Ils sont commercialisés en vente libre, et semble t-il conçus  pour ne pas occasionner le moindre incident. Leur objectif festif consiste à fédérer les convives autour d ‘un évènement, en l’occurrence, ce stage et la balbutiante  fusion des deux groupes, français et  japonais. Chacun d’entre nous est cordialement invité à tirer sa petite  fusée, qui ira  rejoindre  dans le ciel celle parmi les étoiles qui sera peut être le soleil levant du lendemain! Après quelques  nouvelles tentatives discrètes mais toujours aussi infructueuses  pour trouver de l’eau minérale dans les distributeurs Francesco et moi nous résignons à boire du saké. Alan n’a pas ce problème : les hectolitres qu’il absorbe vont être responsables de l’intensification de son extrême  capacité à passer en revue le bestiaire des nombreux  pachydermes ronfleurs  velus. Il est plus de 22 heures : nous  avons tous un besoin évident de dormir.

Samedi 10 Août 2002.

Une heure du matin : Francesco et moi sommes déjà réveillés, lucides, disponibles, oisifs, ne sachant que faire, en tout cas, incapables de retrouver le sommeil. Les causes en sont la chaleur persistante, ce décalage horaire non assimilé, péjoré par l’agressivité de quelques moustiques, mais surtout, part les ronflements d Alain, passés  a une dimension encore supérieure, s’il en est. Francesco et moi parlons beaucoup des difficultés conférés par  les comportements de Sensei s’agissant de l’organisationnel. Nous nous rassurons avec la perspective du prochain entrainement matinal programmé à la japonaise, pour six heures trente. Les cinq restant  à tuer seront longues, mais riches en sonorité harmonieuses, artistement modulées. « Kuchi o nuguu » ( ce n’est pas moi ! ),  aurait de toute manière trouvé le moyen de prétendre Alain, s il avait eu la moindre conscience de la dévastatrice intensité sonore qu’il émettait jusqu’au tréfonds du centre . Au point que les  stagiaires des deux chambres contigües s’en étaient discrètement plaints auprès de Takeda, que les judokas nains étaient subrepticement venus en délégation inquiète et serrée, leurs grands yeux noirs écarquillés afin de contempler également de visu ce véritable phénomène de foire.  L’heure, pourtant matinale du keiko fut ainsi vécue comme une délivrance.

Cet entrainement se déroula selon la reconduite de la séance plutôt technique de la veille au matin, agrémentée d’une insistance plus particulière sur la position basse et ouverte propre à l’école Chen dont s’était inspiré notre maitre pour ce kata. Cette session se déroula avec une grande attention des participants, dont le nombre ne cessait  d’augmenter, séance après séance. Nous étions maintenant environ vingt cinq. Nous travaillâmes  ainsi intensément jusqu’à huit heures, dans l’évident objectif d’aider les stagiaires à « mémoriser », mais aussi en passant d’un élève à l’autre, les incitant à se relâcher, ce qui s’avéra loin d’être immédiatement accessible pour de nombreux d’entre eux. Un copieux petit déjeuner nous attendait à huit heures, heureux moments de reconstitution de nos forces éprouvées,  mais hélas toujours sans la moindre goutte  de café.  Un moment de répit  nous fut  accordé pour faire une toilette rapide (au bon endroit cette fois, nanti des bonnes zoris) avant de reprendre l’entrainement a 9 h 30.

Sensei nous fit à nouveau travailler intensément le tai -chi de synthèse, avec quelques applications par deux et le travail d’explosion en déplacement, technique après technique, cette fois ci sur la troisième section, totalement inconnue même des plus avancés parmi les stagiaires,  en l’occurrence Ken et Oyi. Il nous fallut donc, avant de persister dans l’exécution rapide des séquences et ne serait ce que la simple découverte de leurs applicatifs, procéder à de nombreuses répétitions de la simple forme, en nous plaçant à tour de rôle devant le groupe, les deux autres passant dans les rangs sous la supervision de notre maitre afin de procéder à de fréquentes corrections individuelles. Elles  donnaient ça et là, lieu à des interruptions,  surtout quand Sensei s’apercevait que la même erreur collective risquait  de s’installer durablement ; il n’hésitait alors pas à se lancer dans de généreuses explications en japonais, toutes ponctuées par de nombreux « HAÏ » fusant du groupe des stagiaires, désireux par là d’exprimer leur adhésion, ce que je vécus comme pouvant ressembler à une conduite  confinant à la soumission. L’entraînement prit fin vers 11 h 30, ponctué par une longue plage de posture de méditation de bout (« RITZU ZEN »), qui amena  la plupart des participants, trop tendus, à la torture. Le déjeuner nous attendait. Il sera arrosé de bière, offerte par l’organisation, La convivialité et la proximité entre les deux groupes est montée d’un cran, la bière aidant ! Nous avons offert à un maximum de personnes des petits cadeaux typiquement français, bricoles à quat’ sous (Ura,) qu’Alan et moi avions soigneusement préparé  à cet effet. J’observe qu’Alan ne quitte plus une des stagiaires,  jolie brune quadragénaire avec qui il avait déjà longuement conversé en aparté lors du feu d’artifice. Une entente cordiale semble s’être établie entre eux. Est- elle attirée par les reflets brillants de son crâne rasé, à moins que cela soit par la légende répandue dans tous le groupe, de sa mâle puissance expiratoire ?  Une sieste réparatrice nous permet enfin de récupérer quelques forces. L’épuisement prend finalement le pas sur toutes émissions animales ambiantes émanant d’Alain ou  des  piaillements d’étourneaux super aigus des  judokas nains se carapatant dans tous les sens au gré des couloirs et des étages du centre.

 Il est 15 h 30 quand nous nous présentons pour le keiko suivant. La chaleur est lourde et étouffante .En attendant Sensei,  Mr SAWAI (rien à voir avec son célèbre homonyme), coresponsable et doyen du groupe,  nous présente encore un nouveau venu, un certain SOBEA SAN, champion du Japon d’une catégorie légère de KICK BOXING,  inscrit au stage. Le personnage doit sensiblement  avoir la trentaine. Pied nus, vêtu d’un marcel jaune paille et rouge aussi flashy que déplacé dans uns stage de Budo, il est doté d’une paire de jambons  énormes, casés  dans un immense short de boxe thaï  l’obligeant  à déplacer en écartant les cuisses d’importance .Il n’est pas souriant, sa molle et négligente poignée de main ne me permet pas de ressentir le moindre courant chaleureux. Il a au contraire l’air tendu, comme s’il redoutait que quelque chose se passe, ou ne se passe pas. L’atmosphère conviviale  et complice du dernier repas semble envolée à des années lumières, comme le long feu d’artifice, tant l’air patibulaire de cette personne semble avoir infusé toute l’assistance.

Le keiko est tout d’abord articulé  autour d’exercices par deux du kiko des animaux, dont l’objectif consiste  pour les deux partenaires à se corriger mutuellement, à tour de rôle;  j’aperçois Ken laborieusement occupé à déployer des trésors de pédagogie afin de faire prendre conscience à Sobea de la potentielle mobilité de sa colonne vertébrale. Mais ce dernier apparait aussi rigide qu’il s’est montré souriant lors des présentations. Nous poursuivons  les répétition de forme de l’ enchainement de Chen, reprenant le principe de son découpage en séquences, travaillées en déplacements linéaires variés, allant du pas glissé, (« YORI ASHI »), ou marché, (« AYUMI ASHI » »), ou le pas chassé, beaucoup utilisé pour l’approche soudaine de l’adversaire  (« TSUGI ASHI ») Puis, nous entreprenons quelques poussées de la main, (« TUI SHOU »)  (Chinois) en nous plaçant sur deux lignes face à face,  changeant de  partenaire à chaque impulsion vocale du maitre. J’aperçois Sobéa peiner avec Alan, comme un enfant tentant de  lutter contre un adulte. Alan le ballade à sa guise, le déracinant à chaque poussée de sa main en direction de son plastron,  l’autre ne tentant ni de dévier subtilement, ni d’absorber en pivotant la taille comme ce fut, cela aussi, clairement expliqué par Sensei. Au contraire, il travaille en forçant comme lors de concours agricoles de bras de fer, épuisant à toute allure ses seuls groupes musculaires scapulaires et brachiaux. J’en conclue que l’on peut à la fois être champion de kick-boxing du pays du soleil levant et ne pas avoir la moindre sensation de sa propre  potentialité énergétique.

Il est 17 heures  environ, lorsque Sensei donne le signal du kumite. Il me demande de m’occuper de ceux, plutôt inscrits pour le kiko et le tai chi, ne voulant pas participer aux exercices de combat libre. J’ai pour consigne de leur faire assimiler les cinq exercices de base des animaux du kiko de Tokima et, si possible, selon la réceptivité du groupe, la première section à droite du tai chi de synthèse. Une huitaine de personnes, dont Chi Saki, la nouvelle amie d’Alan, deux autres dames et un enseignant à la ceinture très élimée m’accordent une attention et une déférence touchant. Je suis quelque peu déçu de ne pas participer aux combats. Mais je me console très rapidement en constatant l’attente studieuse de mes élèves, qu’il ne me semble pas avoir le droit de décevoir. Sensei, a pendant ce temps là, je le perçois bien que cela ait été dit en japonais, ré-entrepris de réexpliquer avec le plus de détails possibles, notre manière d’utiliser les protections, le principe de ato- uchi, ou coup de la honte,  lui ayant semblé sur-employé lors de la première journée. Je ne prête pas attention à la première tournée de combats, accaparé par mes responsabilités de français fier d’enseigner à des japonais au Japon. Je constate simplement qu’un de stagiaires s’est fait mettre à mal par Sobéa. J’entends toutefois que la  seconde commence très rapidement.  Alan, placé alors à proximité de mon groupe, se retrouve face à face avec notre champion de kick -boxing,  lequel, casqué- ganté, ramassé comme un boulet de canon, est près à foncer comme un tapir, galvaudant le salut traditionnel. SOBEA SAN se fout des rituels et de l’esprit du BUDO. Il est venu pour la castagne, pour « voir ». Dès l’ouverture de l’engagement, toute l’assemblée ressent immédiatement  le haut degré d’engagement et de dangerosité dont sera imprégnée cette rencontre. La rapidité et le fort bruit généré par les pieds des deux combattants martelant le plancher lors de leurs premiers déplacements confirment que cette rencontre s’avère être d’une intensité bien au dessus de la normale, en tout cas sortant du cadre d’un combat d’entraide, prôné par notre maitre. SOBEA SAN, à l’évidence, est venu pour tester la méthode de Sensei à l’aune de sa propre pratique, de celles allant jusqu’au K.O.intégral  sur les rings. Il  a du  entendre parler du haut niveau pugilistique de notre maitre,  ou en en lisant les dithyrambes étalées dans plusieurs articles récents publiés dans la  presse locale spécialisée. Alan  a immédiatement perçu la particularité de la situation  en tant qu’expert de haut niveau, également en tant que personne rompue à la vraie castagne à mains nues. Sensei ne prête plus  d’attention que pour ce seul combat. Puis, chacun inquiet, curieux, selon, cesse  insidieusement ce qu’il fait, afin d’être en mesure de ne rien perdre du spectacle. Le ton est encore monté. Pourquoi Sensei n’y met –il pas fin ?

SOBEA semble toutefois très  sur  de lui. Arrogant, il  s aventure beaucoup trop près, avec une garde approximative, essayant~ manifestement de placer de soudains LOW KICKS (coups de pieds bas)  ou des coups de pieds circulaires enchaînés au visage (mawashi) mais avec une vitesse surprenante. Sa tactique est  basée sur le harcèlement et la rapidité  d’exécution, certes alliées à  la force et la stabilité, mais apposées uniquement  à ces quelques techniques dont il ne semble guère savoir sortir. Il s’approche ainsi inconsidérément d’Alan, à tel point  qu’il se fait inévitablement cueillir par une magnifique série de coups de poing directs en plein  casque,  pour laquelle Alan ne manque pas d’appliquer les recommandations de dureté précédemment faites à Francesco. Si  cette terrible  volée avait percuté un visage  non protégé par un casque, elle aurait sans nul doute mis fin a ce premier assaut. SOBEA, lui,  aurait du s’arrêter, mesurer les dégâts potentiels liés à cette défaite, puis, prendre de la distance, saluer et reprendre le second assaut, en s’efforçant de se montrer plus circonspect. SOBEA SAN n’a malheureusement pas entendu, ou pas compris, ou  pas voulu comprendre ou même tenir compte des longues explications protocolaires  préalables de Sensei. Fort de la distance rompue qui a permis à Alan de le cueillir pleine  ligne- centre avec dureté,  il occulte outrageusement la portée de la correction encaissée, intensifiant dans la foulée ses rafales de coups de pied au visage,  décochées avec une violence qui frise maintenant la sauvagerie. Tous sont magnifiquement parés par Alan. Mais à quel prix !

Le combat continue encore un peu, selon le même scenario, jusqu’à ce que Sensei invite au changement. Mais pourquoi n’y a-t-il pas fin avant ? Alain salue son adversaire, ôte son casque, s’agenouille et grimaçant de douleur, se tient l’avant bras droit, porteur d’une vilaine bosse suspecte. Le radius  sort pratiquement de la ligne entre coude et poignet.  L’autre avant bras est couvert de bleus et d’hématomes, témoignages colorés de l’intensité des coups de Sobéa, coups pourtant parvenus après qu’il se soit fait casser la gueule. Hébété, tête nue, en nage, obscène dans son marcel jaune et son short de clown, il ne semble toujours pas comprendre comment et pourquoi cela est arrivé. Takeda San et Sawaï San s’empressent de réconforter Alan.  Chi Saki  pleure doucement dans son coin. Nous l’entourons tous. Alan,  est maintenant cassé en deux, blanc comme un linge, au bord de la syncope, lui pourtant réputé  pour sa dureté au mal.

Il est immédiatement évacué hors du dojo, probablement vers l’hôpital le plus proche. Le keiko se termine très rapidement, sans le moindre exercice de récupération ; une fois le salut effectué, Sensei exige avec humeur et émotion que casques et gants disparaissent jusqu’ à la fin du stage. Douche et bains sont expédiés. Une heure plus tard, nous nous retrouvons tous dans le hall d’entrée à proximité des distributeurs. Alain est déjà revenu de l’hôpital .Il porte un énorme bandeau soutenant son bras cassé en écharpe. Il souffre d’une fracture avec déplacement du radius, la radio mettant en évidence une image de branche cassée nette en deux. Beau joueur, il serre la main de SOBEA SAN, maintenant considéré par le groupe comme un opprobre, bien que venu timidement aux nouvelles, assurant même Alan de son estime. Puis, se retournant vers moi,  celui-ci craque émotionnellement en pleurant comme un gosse. Attendu ce soir a l’hôpital, il devra y rester le samedi et le dimanche suivant, afin d’y être opéré le lundi en urgence. Il ne sera autorisé à sortir, avec un peu de chance, le mercredi. Or, nous avions prévu de quitter Katsu- ura le lendemain samedi, après le keiko, afin d’entamer notre tournée touristique. Le séjour est fichu, le beau rêve prend l’eau, emporté par ce « tsunennemi » de violence stupide.

Pour Alain, la douleur, en prime, est au rendez vous Une intense dose de culpabilité l’investit, celle, d’avoir, selon lui, mal géré son combat, auquel il revient sans cesse. Sensei est littéralement catastrophé. Blanc comme un laitier, les narines pincées, le regard fixe, dans le vague, il  semble méditer. Je tente, de mon mieux de consoler Alain, en lui expliquant qu’au contraire,  son niveau pugilistique lui a permis de parer ces batteries de coups de pieds, faute de quoi ses cervicales seraient peut être cassées, avec à la clef, un problème de responsabilité encore plus aigu qui aurait éclaboussé l’organisation japonaise et par ricochet, l’école. J’ajoute, pour le convaincre  que s’il m’avait été donné de combattre contre Sobea, j’aurais probablement pris au moins un coup  dans le casque. Je tentais d’appuyer mon propos en tentant de lui faire admettre qu’aux yeux de tous,  il avait dominé son adversaire, dans la mesure ou celui ci n’avait  pas su ou voulu, prendre en compte notre manière de travailler. Il me répondit qu’en attendant ses premiers soins à l’hôpital, cet incident l’avait interpellé au point de l’amener à se poser des questions quant à la pertinence de notre manière d’aborder ainsi le combat. Je fus ensuite chargé par Sensei d’assister Alan lors de notre passage aux Ofuro afin de l’aider à se dévêtir, à se savonner, et se rincer.  Le spectacle dut être cocasse  pour les  personnes extérieures à notre groupe de découvrir deux « GAIJIN » (étrangers)  à poil, l’un, la tête totalement rasée, le bras en écharpe tenu à distance de son torse par une gouttière-plâtre blanche immaculée,  en train de se faire savonner par l’autre. Le repas est « très rapidement » expédié dans un quasi silence de mauvais aloi. Sensei semble  toujours imprégné par cet incident. S’adressant à Francesco et moi, il nous livra sa lecture du combat, collant parfaitement à  celle  d ‘Alan et  à la nôtre.

Puis, il me demanda de l’accompagner à l’hôpital afin de l’aider à s’installer dans sa chambre en vue de son opération, ce qui  était de toute façon ma ferme intention.  Mr Kogure, touchant de prévenance et de disponibilité, nous ramène à l’hôpital .Alan a entassé à la hâte quelques affaires de toilette et de la lecture dans un petit sac : Hérodote, selon son traité relatif au  conflit gréco-perse de 1’antiquité. Puisse t-il ne pas trop héradoter en tenant ce livre à « bras » le corps !! Nous sommes courtoisement accueillis  au bureau des admissions, même si nous  devons montrer patte blanche, ce qui ne s’avère pas vraiment  difficile pour Alan. Alan devant ensuite  produire un  passeport, le préposé semble pris dans une vertigineuse tourmente lorsqu’il constate sa mention de double nationalité  française et suisse, qui y figure. Ceci semble poser problème, dans la mesure où l’employé découvre 1’existence de ces pays, selon l’avis de nos accompagnateurs japonais.

Alan est finalement installé dans une minuscule chambre à quatre lits, dont les trois premiers sont occupés par des patients du quatrième âge, au sexe incertain, chauves, rabougris, édentés, fripés comme de vieilles pommes, mais au regard vif et curieux . C’est à mon tour de tenter de dissimuler mon émotion, en réalisant que notre compagnon  va passer au moins quatre jours dans cet endroit qui n’est autre qu’un mouroir. Lui-même semble ne pas envisager cette perspective avec sérénité. Takeda- san sollicite ma traduction  en  anglais d’une série de mots qui seront écrits par ses soins en japonais sur un mémo,  comportant la liste de ses probables basiques besoins: mal, soif, faim, toilette, fatigué, etc. Des anti- douleurs  sont immédiatement administrés à Alan. L’atmosphère est tendue avant notre départ ;  il me semble que je parviens à la décrisper un peu en rajoutant sur le mémo une ignominie d’ordre sexuelle, indicible,  déchiffrable par nous seuls, qui tire tout de même à Alain une lueur de gaieté au travers des larmes qu’il a voulu contenir jusqu’ après notre départ. De retour au centre, Sensei nous annonce  immédiatement qu’il lui a été possible de produire les radios d’Alan à un des jeunes stagiaires,  médecin~ orthopédiste, à qui il semble  que 1’opération immédiate ne soit pas nécessaaire. Ce diagnostic ayant été confirmé par téléphone par le Dr Tokima, Sensei a lui-même décidé qu’il irait, dès le matin,  parlementer avec le médecin traitant de l’ hôpital afin d’obtenir le bon de sortie d Alan ,ce qui ne posa aucun problème . Il  sera dirigé vers une autre clinique prés d’ATAMI, notre prochaine destination, où, par bonheur, officie notre jeune médecin stagiaire. La, il recevra les premiers soins qui lui permettront de terminer tranquillement son séjour. Cette décision étant arrêtée, nous sommes invités par le reste des stagiaires à tirer un nouveau feu  d’artifice. Ce soir là, toutes les fusées qui me sont passées entre  les mains furent dédiées  à Saint -Thurnoire,  le saint patron des karatekas, comme autant de  cierges que l’on brûle en faisant un vœux, à la primatiale St Jean, chez nous, loin, la –bas !

Outre ces considérations oratoires et volatiles, cet incident m’amena à cogiter,  en tant que coresponsable de l’organisation française, autour de quelques questionnements émergeant tout naturellement après un tel épisode. Je proposai à Sensei et à Francesco, responsable de la structure italienne, de loin la plus importante, qu’a l’avenir, que cela soit en Europe, au Japon, ou ailleurs,  une  sélection des stagiaires  extérieurs à l’école soit mise en place,  selon un rigoureux mode de filtrage restant à définir . Ensuite, je proposai  que l’évolution  pugilistique des élèves de notre école en vienne à être gérée par nos enseignants, de telle manière, que l’accès aux exercices de  combat/libre ne puisse être effectif qu’après une formation adéquate, comportant un certain nombre de principes culturels, techniques, protocolaire  et comportementaux. Tous devront  être totalement intégrés par l’élève, de façon à ce que le combat puisse s’effectuer, en quelque sorte,  entre gens de bonne intelligence. Je précisai qu’une telle mesure devait aussi être connectée à l’adjonction de ces valeurs pour la progression dans l’attribution des  grades. Je soulignai ainsi le fait  que les protections ne devaient ni ne pouvaient devenir un désavantage pour ceux qui jouaient  le jeu, ce que Sensei sembla approuver. Je précisai  enfin qu’il ne me semblait en rien  honteux de refuser, ou de cesser un combat face  à un antagoniste dont la conduite débordait  des limites raisonnables de notre cadre de travail. Le combat à frappe réelle sans limite peut en effet, pourquoi pas,  aussi  bien s’envisager nanti d’une  bonne masse d’arme, d’un poignard ou une kalachnikov. Dans ces cas là, nul besoin de suivre quelque code éthique que cela soit. Francesco me fit  à cet effet, part de son sentiment en me rappelant l’anecdote de l’alpiniste à qui il est demandé d’indiquer quel est celui des sommets qu’il trouve le plus beau ; il répond que c’est celui qu’il a décidé de ne pas gravir. Je conclue en leur faisant part de mon avis selon lequel il me semble que le niveau d’une personne, outre son incidence  technique,  est tout autant défini par sa capacité à connaître ses limites par rapport à ses objectifs, qu’une retraite sage s’avère souvent  plus glorieuse qu’une victoire arrachée au prix du sang, que cela soit le sien ou celui de 1’autre.

Un tout dernier questionnement, du type de ceux refusant de dire leur  nom car encore insuffisamment élaboré dans mon propre jugement,  affleure ma conscience avec insistance. Je  n’aurai, à l’époque,  de toute manière pas eu  l’audace de le formuler en public, tant mon admiration inconditionnelle pour mon maitre était à cette époque intégrale. Il y était confusément question de  la potentielle responsabilité de Sensei dans cette affaire. Ne lui  appartenait –il pas de ne pas accepter ce Sobea au stage ? Ne lui appartenait t-il pas d’aller lui-même au combat, ou justement, de rompre un tel assaut, qu’il en ait été partie prenante, ou pas ?  Mais au Japon, personne ne voudra jamais perdre la face.

Une fois la dernière fusée tirée, je me précipitai dans notre chambre, silencieuse.

Il est environ 23 heures. Le sommeil est pourtant long à m’investir.

Dimanche 11 aout 2002.

La nuit a été courte, à nouveau, ni Francesco ni moi n’ayant encore assimilé le décalage horaire. Nous avions, se surcroit largement matière à être préoccupés, les images de l’incident, le bruit sec de branche cassée nette  surtout, hantent notre esprit tournicotant en boucle dans notre mémoire. Où est l’image, ou est l’aura du héros karateka invincible, insensible aux blessures, où est la légende  qu’a forgé en nous notre imaginaire d’occidental aseptisé, croyant dur comme fer à la capacité d’impunément  surmonter de tels chocs ? Nous sommes en fait perturbés par l’irruption de la  brute réalité, qui vient de nous appréhender, qui nous a  placé face à face ce que nous rêvions ou croyions tous être et que nous sommes pas.  Nous avons malgré tout, lâchement mis à profit la regrettable absence d’Alan et de ses ronflements, finalement rassurants  pour dormir un peu mieux et plus longtemps que d’ habitude.

Nous retrouvons tous les membres du groupe à 6 h 30. Tout le monde est là, même Sobéa, lequel, s’il avait une queue, ne manquerait pas de tenter de l’occulter  entre ses jambes, trop courtaudes pour cela,  tant son embarras apparait immense. Tous se précipitent afin d’obtenir des nouvelles fraiches de notre sampaï. L’entrainement est articulé-autour du kiko, plus précisément des bases de  la pratiques  de la posture de méditations debout (ritzu-zen), et son adaptabilité aux enchainements programmés et annoncés ensuite en tant que suite logique. Je constate que nos amis japonais, pour la plupart d’entre eux, ne saisissent pas, ne serait ce qu’intellectuellement,  l’extrême importance de cette étape, car tous sont visiblement pressés de passer à l’étude répétitive d’un des deux enchainements, la sollicitation de leur capacité mnémonique pour assimiler une forme  leur apparaissant sans doute rassurante, en tout cas faisant davantage partie de leurs référentiels culturels d’apprentissage que l’accumulation d’énergie dans l’immobilité et la présence. Nous enchainons avec les trois premières séquences du  tai- chi de synthèse. Francesco et moi nous voyons confiés un groupe chacun, pour lequel, nous entreprenons de nombreuses répétitions, sans pour autant que les élèves, la  plupart incapables d’enchainer deux séquences sans chercher du regard la bonne orientation, ne semblent non plus avoir progressé sur cette composante. Lors des pauses rafraichissements dont il a fallu rappeler existence et prépondérance à Sensei, tous semblent avides d’établir avec nous un regard, un contact, un échange verbal, même laconique et incompréhensible de par la barrière linguistique.

A 9h30, une fois les bagages bouclés et placés dans une salle contigüe au dojo, une fois les chambres libérées, une fois le petit déjeuner « très  rapidement » expédié, Sensei part à 1’hôpital en compagnie de Takeda et de Kogure San pour  tenter d’y récupérer Alan. Il confie la direction de l’entrainement à Ken, habituellement chargé des cours au JAPON avec ce même groupe. Il sollicite de notre part, à Francesco moi, une assistance au niveau de 1’encadrement lors des répétitions de 1’enchainement du tai chi de synthèse. Nous sommes, bien entendu à sa disposition, car venus la, pour cela. C’est vers 10h15 que nos amis reviennent, flanqués d’un Alan visiblement soulagé et libéré. Sensei  semble t’il lui aussi bien plus détendu, reprend la direction des opérations.  Il nous refait travailler quelques exercices d’explosion de force, quelques techniques en kihon, puis nous passons à l’enchainement de CHEN. Je me souviens avoir, pendant des années, essuyé les parfois virulentes admonestations de mon maitre quant aux difficultés rencontrées pour assimiler cette variante d’une école traditionnelle chinoise. Il ne me semble toutefois pas que j’ai pu être, à quelque moment que cela fut, aussi godiche et empesés que le sont ces japonais, façonnés au mortier brut des méthodes de karaté à base de contractions, celles-ci  conférant une perceptivité de leur  statique, je le crains définitivement rigidifiée car ayant, à force d’assiduité et de bonne volonté déployée, infusé leur esprit,  leur perceptivité, donc, leur comportement. Ils n’en sont pour autant, au demeurant dénués ni d’attention, ni d’opiniâtreté ou  de bonne volonté lesquelles se manifestent par des signes de main, des hochements de tête d’acquiescement, des sourires ou de pouces levés dans notre  direction. Sensei nous demande de prendre notre déjeuner encore plus rapidement que d’habitude, de façon à pouvoir reprendre l’entrainement dès 13 h30, le terminer à 15h30, et envisager le départ du centre avec Alan, ce dès 16  heures. Le repas, bien que très court, mérite d’être relaté dans la mesure où Sensei, lui-même hilare, nous explique que dès leur arrivée a 1’hôpital, aucune difficulté ne leur a, contre toute attente été faite pour récupérer Alan, la raison étant que moult patients s étant véhémentement plaints auprès de l’infirmière de ses ronflements tonitruants, avaient finalement obtenu qu’il soit transféré dans une chambre seul. Le problème fut qu’il n’y en avait aucune disponible, ce constat débouchant sur la naturelle collégiale décision de le libérer, décision appuyée grâce au dossier produit par le stagiaire orthopédiste, garantissant son suivi de soins. Alan, au moral retrouvé, s’inscrit maintenant en faux pour cette accusation félonne ; il nous livre sa version des faits, nous expliquant qu’il n’avait lui-même pas fermé l’œil de la nuit. Il nous affirma même, presque en colère, avoir attendu le matin, habillé de pied en cap, assis sur son lit, qu’on vienne le chercher, ne pouvant  plus rester un seul instant dans cet endroit, ou les geignements et les émissions méphitiques,  sonores et odoriférantes variées ininterrompues des patients cacochymes le dévisageant contribuaient à maintenir son moral coincé entre le nul et le néant. Une fois ces nouvelles traduites et communiquées au groupe, l’hilarité investit tout le stage.  Les tensions s’évacuent par le fou rire, à coups de  grandes claques dans les mains et dans le dos ou par l’entrechoquement des cannettes de bière,  ou de «KAMPAÏ » (à votre santé !) sonores, lors de l’absorption de godets de saké, spontanément apparus des sacs de sport de plusieurs stagiaires ! Ouf, cela va mieux, c’est tangible ! Les barrières hiérarchiques et culturelles, les distances relationnelles viennent  de fondre d’un seul coup, comme si cette bonne nouvelle pouvait contribuer à éradiquer l’hypothétique dose de culpabilité que ressentait l’ensemble du groupe à l’aune de la déviance d’un seul d’entre eux. Sensei, lui même en tout premier lieu, semble soulagé ! Dans une ambiance de kermesse contrastant avec le silence constipé des premières heures, nous retournons dare-dare au dojo, pour y entamer ce qui constituera le tout dernier entrainement de ce stage au Japon, pour lequel Sensei,  sans détour rappelle  qu’il n y aurait plus le moindre combat.

Le travail est alors transféré autour d’exercices de kiko par deux, avec beaucoup de « O/RING TEST ». L’exercice consiste à tenter, pour l’un, d’ouvrir un anneau de force constitué par l’autre de la jonction entre pouce et index, jonction supportée par le placement adéquat  du dos, celui  du souffle et par extension, de l’esprit. De nombreux stagiaires se déclarent interloqués par la probité de cet exercice, qui confirme que la globalité de la force corporelle confère une résistance potentielle supérieure au déploiement de la seule force musculaire locale, en l’occurrence, celle des doigts. D’autres exercices de circulation d’énergie et de force, débouchent sur des pratiques de confrontations légères par deux, notamment la première application de GOGYOKEN( travail technique des cinq formes de poing, lié à la théorie des cinq éléments)  pour lequel le hasard des couples tournant  me permet une fois encore de travailler avec Sobéa. Celui-ci, désireux de faire montre de sa gêne envers ce qui s’est passé avec Alan, est en quête manifeste de rédemption. Il s’avère ainsi très disponible, car étalant ostensiblement  une évidente volonté  de se situer là en tant qu’apprenant. L’exercice consiste, une fois les deux antagonistes face à face, à se déplacer en ligne, un  bras avancés poing fermé,  en contact avec l’autre poignet contre poignet, à faire baisser le bras de l‘autre, en utilisant cette même force globale que celle découverte lors  des o’ ring test.  Il est alors possible d’amener ce bras en face du centre de l’autre et de poursuivre en attaque directe au plastron. Sobéa, abandonnant petit à petit son état d’esprit d’apprenant complaisant, constatant qu’il ne parvient pas à  bouger mon bras empreint d’état de détente, recouvre son arrogance doublée de volonté de domination,  se durcit progressivement, s’énerve, force, pèse de tout le poids de ses épaules sur mon bras, souffle, renâcle, vitupère, étalant ainsi ses carences  jusqu’a ce que j’en vienne, à l’extrémité de sa vacuité, à abaisser son bras  comme un couteau pénétrant une motte de beurre frais. Sobéa ne comprend pas ce qui se passe. Il me targue de travers, d’un œil requérant de ma part l’acceptation de la transmission d’un secret, d’un truc. La crainte me traverse pendant quelques instants,  qu’il transgresse les consignes et en vienne, par dépit, à  me décocher un de ses coups de pied à décollage vertical sans appel. Mais il ne se laisse fort heureusement pas aller à cette regrettable extrémité. Ce garçon a tout à apprendre, bien qu’il soit en capacité de tuer quelqu’un avec ses techniques acrobatiques à  répétition. Mais lorsqu’il sort de cette spécificité, sa   panoplie technique s’avérant quasi inexistante, outre sa jeunesse et sa rapidité. Alan, le bras en écharpe, assis sur une chaise, observant le manège, affublé d’un sourire malicieux,  me décoche un clin d’œil d’approbation chaleureux. Mais, vers la fin de l’entrainement, il somnole,  vacille, puis,  gêné, file à la japonaise dans la pièce où ont été entreposés les bagages, s’allongeant à qui mieux- mieux sur les tatamis avec son bras virgulant l’air de la blanche apostrophe de son séjour nippon écharpé, avide de s’abandonner dans un repos enfin mérité.  Nous saurons tous très vile qu’il l’a trouvé, lorsque de nouveaux ronflements impressionnants viendront  tout à coup couvrir et le son des tambours d’à côté et la voix de Senseï.  Lui qui semblait-il, doutait quelque peu de nos dires lorsque Francesco et moi relations, au petit matin, la nature sauvage et injuste de nos déboires nocturnes ! L’hilarité générale investi un temps l’exercice en cours, sans que personne visiblement, n’ait le cœur de se lancer à la chasse au tapir. La fin du stage est meublée de quelques échanges fraternels, de regards chaleureux pleins d’estime réciproque. Nous émettons, chacun à notre tour, des remerciements que Sensei leur traduit, avant qu’ils ne soient salués par une vigoureuse salve d’applaudissements et de courbettes. Toutes ces personnes ont été  exemplaires de gentillesse et d un respect gênant, à mon égard, en tout cas.  Quelques photos de groupe, immortalisant ce moment  de Kodak, en Nikon,  de Minolta en Canon, graveront à jamais la présence sur le sol japonais de trois occidentaux comblés et émus. Une fois la douche et le bain expédiés, les adieux et les derniers remerciements, réitérés  sans oublier l’échange des adresses et la restitution des précieuses zoris vertes, il nous faut partir, à contre cœur, car à  la récente découverte de ces nouveaux amis doit se substituer une séparation  que tous nous vivons comme prématurée. Outre son bras, Alan me semble avoir le cœur plus gros que nous sans doute  d’avoir du quitter  Chi Saki.

Mais il a bien fallu se détacher,  repartir à toute allure, toujours « très rapidement »   afin d’honorer la suite du programme concocté par Shoji -Takeda San.  Nous voyageons à bord  de  notre super formule- un de marque MITSUBISHI, cette fois-ci piloté  de  main de non-maître par Takeda San,  en direction d’ATAMI, situé à quatre heures de route de montagne, selon un trajet annoncé comme  très pénible.  Ce que nous allons y faire me semble pas vraiment défini ! Mais nous y allons, puisque tel est le programme, défini par les japonais  Ce voyage  est en effet péjoré par la conduite de Shoji, alternée de violents coups d’accélérateurs, tel Schumi aux 24  heures du Mans et de non moins violents coups de freins à répétition qui perturbent notre légitime besoin de repos et d’assoupissement tout en martyrisant notre nuque .Notre itinéraire nous permet de  traverser de nuit une partie de TOKYO, monstrueuse mégalopole endormie, tissée de multiples réseaux d’énormes  trémies suspendues au dessus du centre de la ville, remplaçant les boulevards périphériques . Nous accédons à  une autre partie de cette trop immense ville grâce au Jamkux tunnel sous la  mer, dans la baie du même nom,  dont l’accès est orchestré selon une organisation rigoureuse, impressionnante d’efficacité et de fluidité, malgré le gigantisme du trafic.

Avant d arriver dans la région d ATAMI, petite ville côtière qui est le Cannes des japonais, Shoji Takeda nous invite à déguster des Sushis, ou boulettes de riz au  poisson cru,  dans un restaurant spécialisé  ou nous sommes servis très rapidement et efficacement, bien  que nous n’ayons ni réservé, ni n’y soyons connus . Je découvre là en fait le fameux système des dessertes tournantes offrant au client assis un constant choix mobile de parts individuelles de ces boulettes de riz, dont le prix est suggéré  par un liseré de couleur au fond de la soucoupe qui les contient, chaque couleur correspondant à un tarif indiqué sur la carte. Toutes sont  agrémentées d’une bouchée de saumon, de thon ou autres poisson cru variés,  de poulpe,  d’omelette et bien  d autres garnitures  appétissantes. Sensei me fit remarquer, mi figue, mi raisin, que je choisissais  systématiquement tout ce qui se présentait de plus cher  ce qui me fit me confondre en excuses. Une fois arrivés à Atami, Shoji, embarrassé, sembla rencontrer  manifestement d’assez grosses difficultés pour trouver 1’immeuble ou se trouvait  1’appartement de fonction appartenant a la société Laydown, dans lequel nous allions passer la nuit. Après bien des tours, retours et détours, contribuant à 1’agacement muet croissant de certains, nous finissons par arriver au pied d’un petit immeuble cossu, devant lequel nous avions du passer trois ou quatre fois ! L’appartement, minuscule mais fonctionnel, comme taillé dans le bois, est un lieu de séminaires réservé aux cadres de l’entreprise ; il s’en dégage une impression de confort, basé sur l’ordonnancement et la mise à disposition d’un  équipement optimal à tous niveaux, favorisant le bon déroulement de ces retraites ou congés de cadres, ou probablement clients de la société. Notre chambre, que nous allons a nouveau partager, doit avoir une surface d’environ 15 m2, est exclusivement constituée de tatamis épais. Un grand placard mural profond recèle une profusion de futons et de couettes  qu’Ikeda– San nous apprend à manier et à disposer, selon une précision qui confine à la maniaquerie, mais qui relève tout simplement de la tradition. Une chambre seule a été réservée à l’étage à notre maitre. Shoji s’y présente timidement après que nous y ayons installé nos bagages. Il semble gêné de nous réclamer notre participation financière à ce voyage. Les sommes requises dépassent d’ailleurs celles convenues. Nous n’avons pas  d’autres choix que d’obtempérer, non sans vérifier si la désapprobation habite aussi le regard des deux autres. Il est tard. Alan et  Francesco  vont prendre un dernier verre dans le salon avec SenseÎ et Shoji. Je m’écroule dans une torpeur bienfaisante et réparatrice, dont je serai  bien malgré moi tiré  par les maintenant rituels ronflements, qui dureront jusqu’au petit matin, malgré quelques vols dirigés de chaussettes, puis de gants de combats, enfin, n’obtenant pas la moindre cesse, de casques  et même de verres d’ eau , mais en vain !  Francesco et moi, désespérés, n’avons d’autres solutions que la résignation et son cortège de grincements de dents.

Lundi 12 AOUT 2002.

Le lever, vers huit heures, a, une fois encore lieu dans une hâte peu propice à un matin de lendemain de stage et plusieurs  nuits blanches  successives après un vol intercontinental. Me plaignant cette fois ci avec une véhémence proportionnelle à la l’’intensité et la pérennité de ce  raffut  nocturne, Francesco et Alan,  me considèrent de concert d’un air hilare et attendant que j’ai terminé d’émettre mes élégiaques revendications,  me font acerbement remarque que je me suis cette nuit largement joint au concert, selon des intensités qui sont même allées  jusqu’à déranger Sensei dans son sommeil. Lors du petit déjeuner,  celui-ci confirme selon un débit haché et sévère, en martelant ses propos sur le bord de la table, qu’il lui serait impossible d’accepter un tel boucan s’il partageait ainsi une chambre,  qu’il en virerait immédiatement l’auteur.

Nous avalons tous en silence notre soupe aux algues avec empressement, stupeur et tremblement ! 1l s’agit maintenant de ranger impeccablement le matériel mis à notre disposition,  ce à quoi Takeda- San veille avec une rigueur toute cérémoniale. L’ordre de chaque geste et de chaque chose, comporte, au Japon une dimension tendant vers la perfection, incontournable composantes du bonheur. Tout peut alors devenir un rituel, apposé à la manière de disposer et d’orienter le mobilier, à la composition d’un bouquet de fleur, la préparation du thé, au maniement du sabre, ou à l’exécution d’un kata.  Tel est le mode de vie de ce petit pays insulaire.

La chaleur est toujours pesante. Dehors, d’énormes corbeaux bruyants, perchés suri d’innombrables lignes électriques pendouillant entre moult pylônes à haute tension, semblent attendre une opportunité pour venir picorer sur la route. De trop nombreux entrelacs de ces disgracieux nœuds de câbles noirs ou grisâtres encombrent l’ensemble du paysage, au point que je trouve ce concept en totale opposition avec les soins que porte habituellement ce peuple à structurer ses cadres et outils de vie,  de la manière la plus efficiente mais aussi la plus esthétique possible. Mesurant mon incompréhension, Takeda nous explique qu’au Japon, les risques de séisme étant permanents, il est impossible d ‘enterrer  les réseaux électriques et connectiques.  C’est pourquoi ces grappes de fils entremêlés donnent cette impression de  négligé provisoire.

Nous reprenons notre « formule  un »  cornaqué par son pilote à la conduite d’auto tamponneuse  pour nous rendre à la clinique, ou nous y retrouvons avec plaisir le jeune stagiaire orthopédiste qui a diné la veille avec nous et préparé le terrain pour le traitement du dossier médical d’Alan.  La salle d’attente est remplie de dizaines de personnes, qui nous dévisagent   comme si nous venions tout droit d’atterrir de la dernière navette spatiale. Le préposé aux entrées appelle les gens par leur nom-SAN, ce à quoi ils répondent par un « Haï » enthousiaste, avant de se diriger énergiquement vers le cabinet de leur médecin. Nous sommes tous surpris par la rapidité avec laquelle Alan est appelé, ainsi que celle  avec laquelle il revient, de nouvelles radios sous le bras, des médicaments en poche et surtout la confirmation définitive selon laquelle il peut tranquillement terminer son séjour au Japon, puis, envisager de se faire opérer en France. Dans cette hypothèse, il lui serait loisible de  reprendre les keikos au bout de deux mois. Dans l’hypothèse d’une non opération et d’une recalcification de l’os, il lui faudrait par contre attendre six mois, ce qui ne manqua pas de lui soutirer quelques grognements. Une incertitude s’installe quant  à l’option qu’il doit arrêter qui n’appartient qu’à lui, malgré les conseils et les influences qu’il tente de glaner, de- ci de- la .auprès des uns et des autres.  Il décide, en tout cas, de profiter de la fin de son voyage. Senseï nous explique alors  à titre informatif,  sans doute désireux de précéder certaines questions d’Alan relatives au montant de ses frais médicaux,  qu’il lui a paru normal que les frais de prise en charge inhérents aux deux hôpitaux soient répartis entre l’organisation japonaise et lui même!

La grandeur chez mon maitre n’est donc  pas uniquement conférée par son  seul talent technique ou culturel.

Nous voilà repartis dans notre « navette formule un » hoquetant de par l’épouvantable manière de conduire de Takeda, consistant à foncer sur l’obstacle, puis de freiner brusquement, parfois à deux reprises. Cela n’a  fort heureusement pas  d’effets collatéraux trop gênants, dans la mesure où  n’avons pas pris de petit déjeuner. Takeda  y remédie rapidement, afin de calmer notre fringale matinale en nous proposant de manger dans la

voiture des gâteaux de riz emballés astucieusement dans une poche et un papier… aux algues. La conduite hachée devient alors problématique. Le café, lui, toujours remplacé par un autre coup de sifflet bref. Nous reprenons notre route côtière, maintenant plus qu’encombrée par une impressionnante circulation à double sens semble t- il due aux départ en congé, qui ont lieu précisément jour la.

Au Japon,  les employés ne disposent que de huit à dix jours de congé payés par an. Il est par ailleurs fort bien vu par la hiérarchie de ne pas les prendre. Le japon est le  pays où réside sans aucun doute le probable champion du monde du stakhanovisme, tant les travailleurs, qu’ils soient employés ou cadre font montre d’attachement à leur entreprise, pour laquelle ils œuvrent dans un constant esprit d’équipe. Lorsqu’on questionne un japonais sur sa fonction, il ne répond que rarement en précisant son statut hiérarchique comme le font quasiment tous les occidentaux. Ils disent simplement travailler pour le groupe Honda, ou Mitsubishi, ou Kawasaki. Mais c’est aussi au Japon qu’une trop fréquente et profonde immersion  dans leur fonction conduit de nombreux cadres japonais sur-stressés à se suicider, fort heureusement selon  des méthodes s’éloignant du barbare « SEPPUKU » (populaire, « HARA-KIRI ») .

Takeda s’étonnant, au cours de la conversation en anglais, de  l’influence de nos syndicats en France, davantage encore à propos de notre loi sur des trente cinq heures ;  incrédule, il finit par en rire, prétendant que notre économie ne se relèvera jamais à un tel cadence basse de travail, que les  tentatives de grèves à la française seraient au Japon vite et durement réprimées, car considérées  comme une entrave à l’élan national.

Nous observons que les voitures sont .en règle générale de haute gamme et suréquipées, dont  beaucoup de monospaces et de superbes berlines inconnues en Europe. Nous nous arrêtons vers 13h30 à SHIMODA, petite ville côtière importante dans l’histoire du Japon .Takeda  nous invite à y déguster des Sushis. Cette fois- ci, libéré,  attrapant sur la desserte mobile d’un preste tentacule décomplexé  tout ceux au poulpe, les plus chers, je fais remarquer à Sensei que je ne me fais plus aucun « sushi » pour la tarification, ce que son regard sévère semble désapprouver. A moins que la barrière linguistique ne  lui permette pas d’accéder à mon irrésistible humour mutin. Il abonde toutefois dans mon sens, nous précisant qu’il s agit au Japon d’un plat de bas de gamme, dont nous aurons sans doute l’occasion de déguster de meilleurs.

C’est alors qu’un homme d’une cinquantaine  d ‘année, grand, élégant, accompagné d’une femme soignée qui semble être son épouse ou sa compagne entre, vient taper sur l’épaule de  Senseï et de Takeda.  Mr KANATA, PDG de la société LAYDOWN, sponsor de Yamatsu- ryu Nippon et  son épouse, sont venus à notre rencontre. Un rendez- vous avait été  fixé dans ce restaurant.  Une  excursion en téléphérique avec pour destination le sommet d’une colline avoisinante dominant SHIMODA est également programmée,  où nous nous rendons à pied.  Shimoda  est un petit port de pèche niché au cœur de collines a la végétation composée d’essences  étonnement bombées et verdoyantes, formant une canopée exotique non sans rappeler les paysages des films de KUROSAWA, par exemple comme dans les sept samouraïs. Nous y remarquons également une profusion de pagodes et de villas ou  de maisons aux toits en céramique bleu clair ou bleu roi, répondant,  dans une palette versicolore scintillante, à  l’omniprésence de la mer. Nous visitons ensuite les abords de quelques  temples shintoïstes, écrins de tranquillité, joyaux d’architecture de vieilles pierres cachés  au cœur de profonds jardins dominant le port. D’énormes papillons  aux ailes chargées de teintes  versicolores inédites en occident,  nous encerclent de leur vol lent et lourd, semblant ainsi si familiers. Ils  traversent des nuées de vols de libellules paraissant apprivoisées. Les cigales, encore plus bruyante qu’à Katsu-Ura, daignent par contre se montrer, posées, lascives, sur le tronc des arbres. Elles aussi sont beaucoup   plus grosses qu’en France, dotées de ces élytres damasquinées  leur conférant un aspect de joyaux précieux.

Le JINJA, ou temple, est le lieu saint ou les fidèles de la religion indigène au JAPON, le SHINTO, se rendent pour prier. Le shinto trouve ses origines dans les peurs ancestrales des démons, de leurs pouvoirs surnaturels et dans le culte qui leur était rendu. Bien qu’il n’existe aucun crédo ou la moindre genèse écrite, le Shinto, religion principale de l’archipel  nippon, transmis par la tradition orale,  est largement célébré par diverses cérémonies et fêtes.

Nous retrouvons Mr Kanata  à la sortie du téléphérique. De là, il nous conduit dans sa résidence secondaire, ou il passe actuellement ses congés. Je fais remarquer à Sensei que la  hiérarchie de ce PDG ne doit pas être contente. …IL me regarde de travers : Au Japon, nul ne se gausse de la hiérarchie, surtout celle en amont.

Nous sommes invités à y résider deux jours durant, en compagnie de Sensei et de Takeda, Cette  maison est située au cœur d’un lotissement à l’américaine, avec pelouse épaisse sans la   moindre barrière.  La conception  intérieure en  est toutefois bien japonaise : petite, confortable, ergonomique, pratique, avec des pièces ou prédominent le-bois clair des rares meubles disposés sur des tatamis. L’ensemble donne l’impression d’espace, malgré l’exiguïté apparente des lieux. La pièce principale est occupée par une table carrée en bois, dont le seul plateau  affleure au niveau des sièges, constitués par les rebords des tatamis creusés. Takeda nous installe dans ce qui sera notre chambre commune pendant deux jours, également constituée de tatamis  clairs et de futons douillets. Puis arrive l’heure du bain, pour lequel Sensei, cette fois-ci affolé à l’idée que nous puissions , même par mégarde, abandonner le moindre poil frisé chez note hôte, ne manque pas de nous réitérer ses recommandations angoissées en la matière . Nous décidons, d’un commun accord, qu’Alan et Francesco étant les moins chevelus, (mais pas forcément les moins velus) passeraient en dernier, afin de laisser un minimum de chance aux poils subreptices susceptibles d’indisposer Sensei au travers du scandale que ne manqueraient pas  de laisser éclater nos hôtes, nous faisant ainsi prendre l’hospitalité nippone à rebrousse poil. Une fois cette délicate opération couronnée du succès qu’elle méritait, nous sommes invités à nous attabler devant un véritable festin, que nous a préparé Me Kanata. Un  énorme plat de sashimis, à base de nombreux poissons crus, met haut de gamme cette fois, nous est offert, dont la variété  multicolore illumine la table d’une véritable fresque culinaire. Cette œuvre est d’ailleurs prise en photo par tout le monde, ce qui me permet de mieux saisir pourquoi KOGURE SAN avait lui aussi passé  une pellicule pleine pour photographier les andouillettes et le camembert qui lui avaient été servis chez moi lors de l’assemblée générale en décembre 2001.

Le sashimi se déguste selon un rituel aussi agréable à préparer qu’à manger.  Il s’agit tout d’abord de saisir délicatement entre ses doigts, une fine feuille verdâtre de papier d’algues, au cœur de laquelle on étale un peu de riz blanc. Quelques feuilles, semble t’ il de chrysanthèmes et de plantes odoriférantes diverses servent de litière a celui des  morceaux de poisson, de calamar, de seiche, ou d’oursin choisi, lequel a préalablement été trempé dans un petit récipient  où ont méticuleusement été mélangés du wasabi, de la sauce de soja, et d’autres condiments mystérieux.  Le tout est roulé à la main et dégusté comme un petit sandwich. Cette merveille gastronomique est abondamment arrosée de bière japonaise, légère et rafraîchissante et bien entendu d’un saké froid coulant à flot, Ce repas demeurera dans ma mémoire, comme l’ un des plus extraordinaires auquel il m’ ait  été permis de participer, tant pour la richesse des mets, que par la délicatesse avec lequel il nous avait été offert et  servi . Je regrette que Madame Kanata,  comme semble le vouloir la tradition, ne l’ait pas pris en notre compagnie, ni ne comprenait suffisamment l’anglais pour que nous puissions la remercier en conséquence. Interloqué, désireux de me conduire avec une galanterie bien française pourtant de bon aloi, je questionne Sensei sur la pourquoi du retrait de notre hôte, celle-ci  demeurant à l’écart de la table, attentive à nos désirs, discrètement assise sur un tabouret bas. Sensei réponds d’un ton rogue et excédé, me demandant carrément de « fermer ma gueule » puis,  me fusillant du regard, me faisant, semble t-il comprendre qu’au Japon, la coutume veut que les femmes ne mangent pas  en compagnie des hommes. Malgré cette disposition que je juge rétrograde, j’adresse à cette femme, belle, silencieuse et peut être soumise, un regards de  gratitude agrémenté d’un sourire, auquel elle répond .par un discret et distingué  clignement des yeux.  Puisse t’elle avoir saisi, au vu des plats vides, à notre mine réjouie et reconnaissante, que nous avons,  grâce à elle, vécu  une rencontre capitale avec la culture japonaise .La fin du repas est émaillée pari un petit choc culturel, selon lequel nos compagnons japonais nous dévisagent, alors que nous nous régalons tous les trois

avec d’énormes raisins au goût de pêche et de fruits  charnus  venus d ailleurs. Sensei s’est cette fois bien gardé bien de nous avertir  qu’au Japon, la peau des raisins n’est pas avalée, que ce type de fruit se consomme par une bruyante succion, que la peau en est recrachée au bord de l’assiette. En fait, il s’agit un peu de la même considération hygiénique qu’avec les pâtes à la farine de riz, de blé ou, celles,  noires de Sarrazin, dont les Japonais sont friands.  Elles sont absorbées de ma même inélégante manière, sur quasi toute leur longueur,  à grand renfort de coup de poussées de baguettes et de buste penchés, C’est le consommateur qui va à la nourriture, et non pas le contraire .J’ ai tenté de m’adapter a cette coutume, mais sans succès, je dois le dire, mes manières occidentales restant décidément trop encrées , au point qu’en France, cracher ses restes dans son assiette ou aspirer bruyamment sa pitance constituent d’évidentes entorses à l’étiquette . En tout cas, je suis d’accord pour admettre qu’il ne m aurait pas  été agréable de trouver un poil dans mes pates !  La fin de la soirée, copieusement arrosée par saké et bière, aurait pu être encore plus conviviale qu’elle ne le  fut, dans la mesure où la quasi impossibilité de communiquer avec les Japonais autrement par l’entremise de notre maitre, a sans doute  entravé les rapprochements en cours, et plutôt favorisé les conversations entre japonais. Sensei, évoquant à la cantonade notre aptitude à ronfler, demande à ne pas être dérangé par quelque bruit intempestif que cela soit, dans la mesure où il va de surcroit devoir partager, avec Takeda  la chambre se trouvant au dessus de celle dés prédateurs. Une fois le signal du coucher donné, après le rituel bol de thé vert froid, Alan  s’écroule sur son tatami, entamant quasi instantanément sa percutante litanie, laquelle résonne dans toute la maison. Takeda,  curieux, vient subrepticement entrouvrir la porte coulissante de notre chambre, afin d’identifier l’auteur d’une telle performance. Satisfait, il ne manqué pas de pousser ce petit cri propre aux  japonais venant de voir ou d’apprendre quelque chose d’étonnant ou de négatif, selon un  « âââââHHH » mi « OOOHH », mi interrogatif, mi souffreteux, émis dans un semble t-il douloureux decrescendo.  La nuit est semblable aux précédentes, à la seule différence que casques et gants volent en  direction d’Alan en formation resserrée, mais toujours sans effet, vue l’apparente léthargie de l’incriminé.

MARDI 13 aout 2002

Le réveil est comme chaque matin depuis le début de ce séjour, difficile, et conflictuel. Il semble bien  que je sois définitivement entré dans le clan de l’ennemi, en attestent les gants les casques de combat et autres objets divers et variés qui entourent mon futon. Alan se dirige vers les toilettes torse- nu, traversant la grande pièce dans laquelle nous avions diné. Elles sont  à 1occidentale chez Mr Kanata. Il s’en réjouit, clignant de l’œil en se retournant. .

Il croise dans le couloir notre hôtesse qui ne semble pour autant pas effarouchée, ce qui lui vaut pourtant une sérieuse rodomontade  de la part de Sensei, lequel lui rappelle, comme s’il était sensé le savoir, qu’au Japon, les hommes ne doivent jamais se produire torse nu  dans les lieux communs d’une maison surtout devant les dames et à fortiori quand elles sont nos hôtesses. Que de subite prévenance pour la gent féminine ! Vexé d’être ainsi apostrophé en public comme un gamin, Alan, l’air renfrogné, investit les toilettes, autant pour s’y cacher que pour assumer ses besoins.  Francesco et moi, à toutes fins utiles retournés chercher de quoi occulter nos licencieux torses velus, attendons notre tour. Nous trouvons que notre ancien met bien longtemps à s’assumer.  Dix minutes se sont bien écoulées depuis sa disparition. Aucun bruit de chasse d‘eau ou de robinet, révélateurs de l’avancée de ses ablutions ne sont audibles, pas plus que le moindre ronflement. Nous en concluons qu’il ne s’est pas assoupi sur le siège, puisque les toilettes sont à l’occidentale chez nos hôtes du jour. C’est alors que des coups sourds résonnent à la porte ; sa voix, angoissée,  quasiment inaudible, nous parvient de derrière l’épais panneau de bois  insonorisé, propre aux toilettes privées japonaises, lesquelles sont conçues pour occulter tout bruit suspect dégradant, ne serait ce que celui de la chasse d’eau, bruits considérés comme susceptibles de faire perdre la face à leur émetteur. Nous craignons le pire !  Mr et Me Kanata ont déjà saisi ce qui advient à Alan. Ils se retiennent pour ne pas éclater de rire. Takeda, lui, est allé se cacher dans la cuisine pour rire tout son saoul. Sensei, investi de son air rogue des mauvais jours, a longuement levé les yeux au ciel, puis s’est pris le front d’une main,  secouant la tête d’un  désespoir révélateur de son trop plein de lassitude de devoir voyager avec de tels incultes !  Après lui avoir fait répéter plusieurs fois ce qui lui arrivait,  Sensei nous dévoile la  situation.  Le pauvre ami, une fois confronté à un véritable ordinateur commandant tous les boutons ou pressoirs des nombreuses fonctionnalités de WC modernes japonais, ne sachant pas en lire les caractères kanji, a appuyé au hasard sur  l’un d’eux pour actionner la chasse d’eau, provoquant le blocage de la porte. S’obstinant, il a ensuite du déclencher le nettoyage hydraulique automatique par le sol, puis les diverses souffleries ou jets vers diverses parties du corps, jets d’eau chaude, d’eau froide,  sans oublier  quelques  produits détergents. Grace au double relai du guidage de  nos hôtes, puis de Sensei, la porte, finit enfin par s’ouvrir, nous révélant un Alan hagard, furieux et trempé. Il est visiblement encore  à la pêche aux zoris, lesquelles demeurent  obstinément plaquées  sur la grille d‘évacuation d’eau. Honteux des bruits incongrus de succion et de pétarade ainsi produits, aussi, de n’avoir pas été en mesure d’évacuer sa production matinale, il doit de surcroit  libérer  ses jambes, ses épaules et bien sur  sa patte folle,  du visqueux et invasif enroulement de l’ équivalent des deux ou trois rouleaux de papier à quatre épaisseurs,  fragrance violette ou réséda , également projetés dans le cadre du bombardement qu’il  avait ainsi provoqué . 

Les retrouvailles du matin autour de  la table s’avèrent on ne peut plus silencieuses  ne donnant à aucun de nous trois l’envie de prendre le risque de s’adresser à Sensei, vu la constante et révélatrice âpreté de son regard en direction d‘Alan, ainsi élu opprobre du jour. Ce petit déjeuner recèle un aspect plus  occidental,  mais toujours sans café, fort opportunément remplacé par un

délicieux thé foncé à propos duquel, compte tenu de sont gout caféiné,  j’ai de prime abord pensé qu’il pouvait s’agir de la denrée qui m’ait  le plus fait  défaut pendant ce séjour. Se déridant un peu, d’un air mi renfrogné-mi amusé, notre maitre finit par nous avouer  discrètement en français, qu’il n a pas dormi de la nuit à cause des ronflements de Takeda, lui aussi ainsi coopté  au panthéon des tapirs. Ce dernier nous quitte afin de  régler quelques problèmes personnels, puis, pour nous rejoindre plus tard. Mr Kanata nous propose/en l’attendant, de profiter de la plage voisine, à laquelle nous nous rendons à pied, lui tenant en laisse son chien, d’une main , de l’autre le petit kit rituel, composé d’un sac  destiné à ramasser les déjections de son compagnon canin, mais aussi d’une  astucieuse petite gourde articulée  permettant  de le désaltérer. Au Japon, les  animaux domestiques ne sont  pas admis  dans les maisons ; ils doivent obligatoirement être tenus en laisse  à l’extérieur,  ne pas se soulager sur la voie publique. Tout maitre pris en flagrant délit de non présentation du kit se voit durement pénalisé par une forte amande payable sur le champ.

La plage est petite, comme tout l’est au Japon ; il s’agit en fait d une minuscule crique encaissée entre des rochers poreux où s’entassent un nombre impressionnant de plagistes  venus en famille, adeptes du bronzage, de la plongée en apnée, du matelas gonflable et des ballades sur le sable. Quelques grottes ont été creusées par la mer jusqu’ à lune profondeur surprenante, compte

tenu de la porosité de la roche. Ceci laisse imaginer la force colossale que doivent avoir certaines tempêtes, toujours représentées sur les estampes maritimes par une langue de mer en suspens, surplombant dangereusement les personnages effarés qui y figurent. L’endroit est investi par des colonies de repoussantes bestioles dont mon hésitante tentative de classification oscille entre la branche des crustacés arachnides moyens et  celle des cloportes crénelés supérieurs, ayant certes le droit d exister, mais à condition que cela ne soit pas dans mon pantalon  à l’intérieur duquel certains parmi les plus hardis,  ont l’audace de s’immiscer ; pantalon que j’ai conservé,  à défaut du maillot de bain lamentablement oublié en France. Sensei et Francesco se livrent, sous l’œil indifférent des autres baigneurs, à quelques exercices de pousse main,  avant d’aller rejoindre Alan se trempant, lequel garde un bras hors de l’eau à toutes fins utiles. De retour à la maison, avant d’en franchir le seuil, Mr Kanata prend lui-même la peine de  doucher nos  pieds nus avec un arrosoir dédié à cet effet, non sans omettre son chien, sur lequel il passe plus de temps à cause des poils, sans doute ?  

Après une rapide collation, l’après midi est consacrée à la visite de Shimoda..

Mr Kanata en personne  nous .servira de guide .1l nous emmène visiter plusieurs musées de SHIMODA, relatant par le menu le fameux événement historique qui a rendu ce port célèbre. Au 18e siècle,  à une époque correspondant sensiblement à la fin du shogunat et du début de l’ère MEIJI, un navire de guerre américain, dirigé par le Commodore PERRY, accosta dans la baie de Shimoda,  semant la terreur parmi la population. Pourtant, les intentions des marins étrangers étaient  louables, dans la mesure où leur objectif consistait  à établir un contact avec ce pays si mystérieux et si fermé, image que donnait à l’époque à juste titre le  JAPON au monde. Après de longues tergiversations de la  part des édiles japonais gouvernant le port, une délégation du navire fut  reçue a terre, avec méfiance, stupeur et tremblements. Le contact ainsi établi, laborieux et pusillanime  débouchera ultérieurement sur des échanges d’ambassadeur,  initiera les premiers trafics commerciaux de transport de marchandises par navire avec d’autres pays occidentaux, comme la RUSSIE, et la HOLLANDE.

Ces musées proposent toute une gamme de photographies, d’estampes, de documents, de connaissements, d’objets d art, d’armes et de canons issus du navire américain ;  ils sont présentés de telle manière, nous explique Takeda san,  qu’ils reflètent la peur que conférait aux nippons notre monde occidental barbare.. Certaines estampes, par exemple, réalisées par des artistes japonais dei cette, époque, mettent en scène le commandant PERRY, selon des caricatures accentuant l’étrangeté de son long nez, de ses traits, de son costume et de ses armes droites. Nous avons toutefois regretté que la majorité des légendes  et explications de ces musées ne soient pas proposées en langue française ou anglaise. Nous terminons l’après midi par une ballade féerique sur des chemins côtiers escarpés, situés à l’extrême sud d’une l’île, presque face à l’Australie, où

une vue extra ‘Ordinaire nous est offerte sur un archipel volcanique au large, -appelé les sept iles, dont l’une, la plus peuplée, a du être totalement évacuée, deux ans en arrière, à cause de l’imminence d’une éruption. De petits

chemins escarpés pierreux accueillent de minuscules temples en pierre, taillés  dans la roche, surplombant  d’impressionnants à pic donnant sur le fracas

des rouleaux du Pacifique, quelques centaines de mètres plus bas. Une profusion d’essences variées, grasse et ronde, abrite des, myriades de cigales bruyantes ~ ainsi que de  curieux papillons/bigarrés, lents, surdimensionnés, lequel disputent aux nuées de libellules le contrôle d’un ciel écrasé d’une chaleur lourde et moite: Le dépaysement est a  la fois total et familier car proche de certaines paysages représentés sur de nombreuses estampes, par des artistes naïfs .Nous retournons chez Mr Kanata, où  de quoi composer un énorme barbecue a été préparé par Madame, sur  la terrasse, face à la mer. Le maître de maison passera la soirée debout, devant son grill, à cuisiner pour les autres les innombrables poissons, viandes, crustacés, saucisses et brochettes de légumes ,qu’il  distribuera au fur et à mesure de leur cuisson ; veillant scrupuleusement à ce que chacun goute de tout et soit gratifié de la même quantité que les autres  et ce longtemps encore, après que notre appétit ait été comblé. Le diner, encore trop copieux, auquel il convient pourtant de faire honneur, est  arrosé de · bière et de saké. Cette  fois ci, Me Kanata a .passé presque toute la soirée avec nous, nous faisant encore plus regretter la barrière linguistique..Takeda San nous rejoint en cours de soirée. Celle ci se termine dans la pièce principale à l’intérieur, ou nous sont proposés thé, bière, saké normal et saké extraordinaire, en l’occurrence la fameuse liqueur de saké, de marque IICHIKOO, à propos de laquelle Sensei nous demande de nous recueillir en la buvant, dans la mesure ou il s’agit de celle dégustée lors de  temps révolus, par les samouraïs lors de leur descente glissante des pentes drues du Fuji Yama. La discussion est centrée sur la future organisation internationale, dont Francesco est le pivot. J’estime pour ma part, en tant qu’observateur  rompu aux réunions de direction,  que les  constantes digressions émises par notre maître, sortant du cadre de l’ordre du jour,  ne se prêtent  en aucun cas à favoriser quelque concrétisation que cela soit, ce que t  tous semblent admettre. . En leur fore intérieur. Je me rappelle alors les longues conversations à ce sujet, dans nos langues respectives  avec Francesco. C’est difficile à admettre pour un tel voyage, mais il me semble que j’ai fait davantage de progrès en langue italienne, que je n’en ai fait ‘en japonais!!!

MERCREDI 14 aout 2002

Le lever a lieu tôt, dans le maintenant habituel contexte d’humour ambiant relatif à qui ronfla  plus bruyamment  ou lança le plus de projectiles. Un dernier petit déjeuner familial  rassembla tout le monde  autour de la table creusée au cœur des tatamis, au cours duquel cartes de visites, adresses et promesses de garder le contact furent échangés. Malgré le peu de communication directe que nous  avions eue avec les japonais, le départ fut empreint d’une émotion certaine de notre part compte tenu de  la gentillesse et la totale disponibilité avec laquelle nous avions  été reçus. C’est non sans appréhension que nous nous retrouvons peu après dans le Mitsubishi, avec Takeda-San aux commandes, chaussé de ses lunettes formule- un, sans doute arborées afin de pour mieux piler  sur l’obstacle quand il lui semblait qu’il s’en présentait un, ce qui ne se concrétisait qu’à la toute dernière angoissante extrémité.  La chaleur est torride. Les routes sont encombrées et la circulation difficile. Notre destination finale est Tokyo, que nous venons juste de quitter ; nous craignons lors tous qu’il ne s’agisse là que le premier des multiples tours d’un interminable circuit sur ces routes étroites et engorgées ! Une étape préalable est prévue  au fameux site de KAMAGURA. Nous nous arrêtons vers 14h00, après quatre heures de pénible voyage secoués,  brinquebalés et fatigués  Nous déjeunons dans un minuscule caboulot populaire où nous est servi à toute allure un plat de pâtes chaudes dont la bruyante absorption de la part de nos accompagnants japonais relève de leur haut niveau en obscènes bruits de sucions. S’ils viennent en France, il conviendrait que je leur explique que c’est aussi déplacé que de laisser des poils partout !! Est ce cela qui rebute Francesco ? Celui ci, en tout état de cause, a  choisi de se passer de repas, préférant discrètement demeurer à l’arrière du fourgon afin de pouvoir y allonger ses interminables jambes, repliées jusqu’au menton lors des trajets. Il semble brassé et nauséeux. Ceci est probablement du au gymkhana heurté que nous devons à nouveau subir  jusqu’à notre première halte au site de Kamagura. La voiture est confiée sur un de ces innombrables petits parkings artisanaux, à un de ces  retraités  âgés de soixante dix à quatre vingt ans et plus, chargés d’encaisser le montant des stationnements et d’en assurer la rentabilité. Les usagers lui confient clés et voitures,  afin qu’il soit en mesure de les  déplacer au cas où cela s’avèrerait nécessaire dans leur objectif d’optimisation de l’espace.  J’ai remarqué que tous ces petits boulots, tâches pourtant  peu exaltantes, souvent tenus par des seniors, étaient accomplis avec une ferveur  énorme,  un sens de la responsabilité et de l’efficacité dont  la France, engluée dans son regrettable système d’assistanat est  maintenant dépourvue, dont elle devrait s’inspirer !  Au Japon, les seniors, souvent appelés « Sensei », même s’ils ne pratiquent pas les arts martiaux, sont respectés. Leur expérience aux yeux de tous reconnue, compte, car elle recèle une mine de savoir-faire et souvent de savoir -être, quand ce n’est pas de savoir –faire- faire ou de savoir faire- être. Beaucoup d’entre eux, souvent volontaires, sont alors réaffectés dans leur entreprise ou dans une autre, en tant qu’accompagnants auprès de juniors, ce qui leur permet d’arrondir leur pension de retraite. Tous manifestement, œuvrent pour le résultat global de l’entreprise à laquelle ils estiment que c’est un privilège d’appartenir.

Il est possible d’observer le même comportement de recherche d’excellence et d’efficience dans les stations services. Le fait d’acheter de l’essence ne constitue pourtant pas une curiosité culturelle ou un phénomène touristique propre à être décrit. Au Japon, les pistolets à carburants sont suspendus au plafond de la station, toujours selon leur constante quête de gain d’espace. L’accueil, généralement effectué par des étudiants, est très rapide, très efficace.

L’appellation station « service » s’avère alors pleinement justifiée, dans la mesure où le rapport client fournisseur est pleinement pris en compte à un degré tel que pare- brises et  carrosseries sont scrupuleusement  briqués, que la note, toujours réglée en espèce, est présentée sur un plateau, sans que le client ait à lever le petit doigt,  jusqu’à son départ, accompagné des courbettes traditionnelles.

La première halte au site historique de Kamagura eut lieu vers quinze heures.

Ce site appartenait aux derniers Shoguns de l’île de Honshu, à qui il servait de résidence, jusqu’à l’avènement de l’ère MEIJI, lequel, si j’’ai bien compris, correspond au début de la régression de la féodalité. Les temples, shintoïstes ou bouddhistes que nous visitons, sont nichés dans un immense domaine naturel soigneusement et amoureusement entretenu par de équipes de jardiniers invisibles, mais manifestement méticuleux.  Une atmosphère de méditation flotte d une manière pesante et immobile sur tous les édifices, sur les rochers des

jardins, sur les plans d’eau verts foncé, ou dans les arbres soigneusement taillés  peuplant ces endroits magiques, berceaux de l’ « ici et maintenant ». Lors de notre dernière halte, Takeda–san  nous conduit vers le gardien des lieux, un immense Bouddha en bronze, trônant au sommet d un escalier monumental, au

pied duquel règne un arbre centenaire majestueux, dont Sensei ne manquera pas  de prélever respectueusement une feuille, peut être selon un vœu de longue vie. Je cueille moi aussi une de ces feuilles qui, une fois séchée, marquera celle des pages de ses prolifiques écrits dont je tente, en permanence de m’imprégner.

Il est possible lors de cette visite, de pénétrer dans ce Bouddha, creux comme un ballon, de grimper un escalier interne en spirale et une fois parvenu dans la tête,  de profiter d’une vue enthousiasmante sur l’ensemble du site, nous transposant ainsi bien des siècles en arrière, tant rien ici ne suggère quelque modernité que cela soit.

Quelques heures de voiture nous conduisent ensuite jusqu’à TOKYO. Les abords de celle cités parmi les plus peuplées du monde sont surprenants, dans la mesure ou il m’ a semblé que même les zones industrielles paraissent conçues et disposées de telle façon qu’une certaine forme d’esthétique urbaine soit prise en compte. C’est ainsi que pour la première fois de ma vie, la vue de l’aire maritime portuaire m a semblé aérée et logiquement disposée par armateur,  chacun ayant à proche disposition son propre parc à conteneur, ses moyens de levage, et ses bureaux. Il en est de même pour la zone aéroportuaire, pour le port pétrolier, et même pour les immenses ponts suspendus au dessus des bras de mer, aux trémies qui surplombent ce monde industrieux de fourmis efficaces et rationnelles, enjambant audacieusement les premiers faubourgs, jusqu’ aux majestueux et inquiétants bâtiments du centre ville. Nous nous rendons directement à notre hôtel, près de bureaux de Laydown,  situés en plein centre des affaires. Notre hôtel, comme beaucoup de choses au Japon, est minuscule. Les préposés parlent peu et mal l’anglais. Un rendez vous est très rapidement fixé dans le hall, ou nous devons y  retrouver KOGURE SAN, lequel nous a fort aimablement convié à un repas dans un somptueux restaurant Coréen. La encore, nous avons la possibilité de découvrir, en genre et en nombre, de merveilleuses denrées qui nous sont servies par de très belles jeunes femmes en costume traditionnel, dans un box privatif, à l’entrée duquel nous avons abandonné nos chaussures par précaution eu égard à nos précédentes frasques. Mais le regard de Sensei et surtout les protestations des clients des autres box, audibles chaque fois que s’ouvrait la porte coulissante pour l’arrivée des nombreuses victuailles, nous firent comprendre que nous venions de commettre une nouvelle bourde. Les  plats opulents et nombreux servis furent tout au long du repas irrigués d’un saké crémeux,  sucré, presque bleu, traître et  léger qui se buvait donc comme du petit lait. Aucune autre réjouissance n étant fort heureusement prévu ce soir la au programme,  nous réintégrâmes notre hôtel, où à peine arrivés, Alan se glorifia ignominieusement de la perspective de pouvoir enfin passer une nuit complète tranquille, puisque tous étions cette fois ci logés dans de minuscules chambres individuelles. Nous qui avons été si tolérants et charitables avec lui, le choyant comme un bébé impotent, jugeâmes non sans alacrité  que l’hôpital, dont il sortait  se foutait  bien de notre charité.

  Jeudi 15 aout 2002!

Après une nuit réparatrice, la première depuis le 07 au soir, si je compte bien, je suis extirpé de mon sommeil par  une pénétrante odeur de  café. Sautant la tête la première dans un pantalon, suivant le fumet à la trace, je parviens dans la salle à manger du  rez-de chaussée de l’hôtel, dans l’espoir de m’en voir proposer un, même un petit. La préposée, courtoise mais disciplinée, me fait remarquer d’un ton ne souffrant pas la moindre controverse, qu’il ne m’est pas possible d’accéder au buffet si je ne suis pas muni de l’indispensable ticket jaune clair, sésame d’entrée incontournable, pour lequel Takeda-San nous a pourtant bien avertis et que j’ai pourtant soigneusement préparé en conséquence, la veille avant de m’endormir. La préposée s’étant impitoyablement exprimé en japonais, j’ai tout d’abord craint d’avoir à nouveau commis une erreur de couleur de zoris ; mais sa reformulation de mon infraction dans un anglais plus qu’approximatif me fait comprendre qu’il ne s’agit qu’un déficit règlementaire de ticket, péché rédhibitoire pour accéder enfin à un vrai café ! Quelle barbarie papelardière !! Un ticket jaune clair !! Le fumet du café exaspère pendant ce temps mes papilles gustatives,  me troublant au point que bien qu’ayant à plusieurs reprises retourné mes nombreuses poches sous le regard réprobateur mais patient de mon cerbère d’hôtel, je  ne parviens pas à mettre la main sur ce passe-partout. Je remonte dans ma chambre, que je retourne également, en vain ! Le ticket, ce traître,  est en fait jaune foncé, à la place exacte ou je suis allé le chercher en premier lieu en tant que ticket jaune clair, dans mon passeport au fond de ma poche, révélant sa présence en voltigeant  sur la moquette. Pendant le copieux petit déjeuner enfin noyé dans un océan de caféine, Alan fait l’objet d une inattendue drague en règle par quelques minette audacieuses, au point que Francesco et moi devons nous efforcer de le contenir de crainte qu’après les hôpitaux, les prisons japonaises n’aient à accueillir un psychopathe manchot. Nous voilà tous repartis en directions de TOKYO. J’apprends que de nombreuses visites y sont prévues, avec tout de même un entrainement à la clé. Je dois dans cette perspective touristique, aller  retirer un peu d’espèces dans une banque.

Celles ci sont ainsi organisées qu’elles accueillent leur clientèle dans un grand hall d’entrée muni de plusieurs rangées de banquettes disposées  comme au cinéma ;  un grand écran métallisé  masque les bureaux en attendant l’ouverture des guichets de services. A neuf heures tapante, le garde armé de lai banque, portant casquette et uniforme, se met au garde à vous, éructe un rauque slogan  alors que se lève automatiquement le rideau, dévoilant les employées en uniforme debout,  figées devant leur poste de travail.  L’appel militaire des clients débute ensuite  selon un numéro attribué avec un ticket papier  prélevé dans une machine.  Personne n’est autorisé à se lever ou à  circuler dans le hall. Le change peut également s’effectuer automatiquement par des  distributeurs. Alan, toujours vernis avec les automates, rencontre le problème selon lequel la somme qu’il désire changer nécessite trois opérations  avec le même distributeur, lesquelles, une fois superposées, lui délivreront l’autorisation de se rendre à la poste, où ses espèces lui seront remises, non sans une suspicieuse vérification supplémentaire. Le  procédé me paraît plutôt lourd, surtout pour des visiteurs étrangers!  Ces opérations successives au distributeur nécessitent de surcroît, l’aval des directeurs de la banque qui nous reçoivent courtoisement et collégialement en délégation dans un bureau privatif, une irrégularité de passeport pour l’un de nous semblant avoir attiré l’attention borné de la guichetière. Celle-ci  s’adresse à ses supérieurs avec stupeur  et tremblements, sortant à reculons en distribuant plusieurs courbettes. Ils nous contemplent  d’un œil perplexe bien que notre dégaine de touristes ne puisse en aucun cas nous assimiler à l’équipage du commandant Perry. Mais comme il semble que cette banque soit celle où LAYDOWN ait ouvert  ses comptes, la verve de Takeda San, toujours serviable, contribue à vite lever toutes ambiguïtés. Il est près de dix heures  quand Alan peut enfin entrer en possession de son argent.

Nous remontons, « très rapidement, » dans notre Mitsubishi-  culbuto sous les injonctions de Sensei, pour nous rendre au Palais impérial, situé en plein centre ville. Là,  réside l’’Empereur du JAPON et sa famille. La circulation est tout d’abord  relativement fluide. Puis, bien que régulée par un important déploiement de policiers, se transforme en véritable pétaudière à l’approche de notre destination. Ceci s’explique par le fait que la  date du jour correspond à celle, honorifique, de l’anniversaire de la capitulation du JAPON lors de la seconde guerre mondiale. De nombreuses personnes, japonaises ou pas, tentent d’accéder à ce lieu vénéré par toute une nation. Takeda –San doit faire face aux pires difficultés  pour  se frayer un accès aux places de parking les plus proches possibles. Une fois casés dans un lointain parking grâce au concours d’un petit vieux servile et sautillant,  nous nous rendons a pied au Palais impérial, a travers d’immenses et somptueux squares  urbains parfaitement entretenus, d’ou se dégage, malgré la proximité du trafic urbain, une sérénité venue d’ailleurs.

Le Palais impérial, situé au bout  d’un terre plein n’est autre une énorme bâtisse de style «  pagode » fort bien conservée et entretenue, entourée de douves profondes, à laquelle on ne peut semble t-il accéder que par quelques ponts de  bois  suspendus. Tous sont  étroitement surveillés par des  guérites truffées de sentinelles surarmées, dont la détermination et le dévouement  même à cent mètres de distance, est décelable au vu de la perfection et de l’immobilité de leur posture et de leur regard. Le Palais, dans lequel nul ne pénètre jamais, a demi occulté par une végétation fournie d’essences verdoyantes,  semble lointain, car nimbé d’une  aura de silence , de mystère et de sacré, rescapé silencieux et digne d’une époque  obsolescente  cernée par une anachronique modernité. Nous le photographions sous tous ses angles, profitant de la beauté du site. C’est alors qu’arrive au pas cadencé une  troupe compacte d’environ quinze personnes, que nous avions déjà remarqué en sortant du parking,  que nous avions pris pour des policiers en civil compte tenu de leur tenue vestimentaire paramilitaire.

Sans s‘occuper des nombreux touristes étonnés, ignorant superbement les regards convergents, ils viennent s’aligner impeccablement devant le palais, marquant le pas comme des robots décérébrés. Au signal de celui qui semble être leur chef, ils saluent militairement de concert le Palais et l’Empereur invisible, éructant avec conviction  un guttural slogan d’allégeance à l’Empire, tout  en déployant religieusement le drapeau blanc au soleil rouge. Nous pouvons déceler des larmes coulant sur les joues des plus proches. Ils repartent comme ils étaient venus, manipule guerrière au port altier, nostalgique de 1’ordre serré du temps de leur lointaine conscription, des guerres qu’ils n’ont pas pu faire, ou de celles qu’ils rêvent de déclencher. Takeda –San, impressionné, craintif,  s’approchant de .nous par petites reptations latérales stratégiques,  attend qu’ils soient à distance respectueuse pour nous expliquer qu’il s agit la de représentants d’un groupe politique d’extrémistes pro-impérialistes,  fanatiques de l’Empereur, de l’Empire, de ses gloire et honneurs passés, en fait toujours en  lutte , car n’acceptant pas quelque capitulation que cela fut . Sensei surenchérit en nous précisant que leur ultra -droitisme se situerait sur  l’éventail politique, à l’extrême droite de notre front national français. Ils sont ainsi venus témoigner leur irréfragable attachement à leur Empereur, en ce jour historique. Le spectacle en est à la fois admirable de par la force collective exsudant de la posture  de ce bloc humain déshumanisé , mais surtout, inquiétant  dans la mesure ou il est évident que n’importe lequel de ces fanatiques donnerait sur le champ, là, tout de suite, sa vie ou prendrait sans émotion celle d ‘autrui, pour une regard de travers, une parole déplacée, pire encore, pour insulte au drapeau.

Etonnés, nous regagnons notre bolide plus que jamais bondissant et pilant  compte tenu de l’épaisseur du trafic, qui occasionne un arrêt brusque tous les cinq mètres.  Nous nous  rendons au .KODOKAN centre mondial historique des Arts martiaux traditionnels japonais. La perspective est attrayante. En sortant du parking, Alan nous fait remarquer sur une file voisine de circulation, l’étrangeté  d’un véhicule industriel paramilitaire transformé, au pare brise protégé par du grillage serré, équipé d’imposants pare-buffles et d’une  carrosserie blindée. A l’intérieur, nous pouvons en apercevoir les occupants, hiératiques, les yeux durement  braqués comme des armes de gros calibre sur ceux qui les regardent. Des inscriptions en kanji peintes sur les portières de leur tank urbain, selon Sensei,  attestent de  leur appartenance  au   groupuscule  d’extrémistes côtoyé au Palais impérial. Ils sont contraints de protéger leur véhicule car il n’est pas rare que la plupart des gens, qui  les détestent, jettent des projectiles sur leur pare brise ou leur carrosserie. Je me sens presque soulagé de les voir tourner ..à droite, bien sur.

Nous arrivons au KODOKAN. La circulation devient de plus en plus difficile toujours à cause de ce même évènement commémoratif, qui fait l’objet en ce lieu typique de la culture japonaise d une cérémonie officielle dirigée par l’empereur en personne. Nous approchons du centre des Arts Martiaux, a proximité duquel un autre déploiement de policiers et de gendarmes,  de militaires et d’officiels en tenue d’apparat, communiquent nerveusement par talkies -walkies .Après qu’Alan ait montré «patte blanche », nous pouvons nous garer dans un immense parking contigu au  KODOKAN. Le bâtiment, de facture architecturale moderne, ronde, comportant plusieurs niveaux, donne une   impression de majesté moderne empreinte toutefois d un zeste de tradition. .C’est sans doute pour toutes ces raisons que l’Empereur a choisi cet endroit pour célébrer cet anniversaire Il est considéré comme un des plus vastes lieux de réunion à TOKYO. Mais Takeda-San comprend très vite que nous n’obtiendrons ce jour-là la moindre autorisation pour franchir les barrages et procéder à ne serait qu’une petite visite , l’Empereur étant annoncé sous peu .La foule  d ‘officiels en queue de pie militairement déployée devant l’entrée principale ne s’est sans doute pas  fendue d’une  telle tenue pour congratuler deux ou trois pirates Gaijin  en short et chemisettes, dont un avec le bras en parenthèse . Il ne nous est donc pas même possible  d’entrer ne serait-ce que l’espace de quelques minutes,  afin de profiter de l’espace dojo dans lequel Sensei assure ses cours lorsqu’il vient enseigner chaque mois au JAPON. Quelle double déception !

Il est 14h 00 environ, quand nous nous dirigeons vers le quartier d ASAKUSA, zone commerçante, ou nous comptons  effectuer notre incontournable shopping touristique afin de ramener à ceux restés en Europe, quelques  objets promis. Le quartier commerçant est installé dans une immense galerie marchande couverte comportant plusieurs allées, ou des échoppes, placées de part et d’autre, regorgent de marchandises diverses. Alan herche des chaussures et un tee-shirt, Francesco une clochette et des éventails. Je souhaite pour ma part trouver des

kimonos (vêtements amples d’intérieur) et un TANTO (poignard court ). Sensei,  qui nous accompagne, fait patiemment office d’interprète dans les magasins, essayant même de nous obtenir des remises, ce qui n’est absolument  pas d’usage au Japon. Nous parvenons au bout de l’allée,  toujours sans pouvoir y entrer vers  un magnifique  temple bouddhiste,  l’un des plus grands de la capitale .Son envergure surprend, dans la mesure où il apparaît brusquement au sortir de la galerie marchande, imposant sa masse et son altier toit rouge damasquiné, contrastant étrangement avec l’exiguïté et la bassesse de plafond des échoppes de ses marchands du temple.

Ces temples japonais, entièrement construits en bois, sont posés à même le sol, sans fondations pour les  contenir. Mais il s’agit là d’une mesure de précaution, car  en cas de secousse sismique, il arrive qu’ils glissent sur le sol de quelques mètres, puis, soient remis en place par de cohortes innombrables d ouvriers le remettant intacts à leur place initiale, par le biais de cordes, à la force de leurs bras. Une énorme urne antique en bronze massif, contenant des braises chaudes, permet aux passants de déposer, en faisant un vœu, un bâton d’encens. Nous nous prêtons tous trois à cette tradition, Francesco souhaitant secrètement la victoire footballistique de sa squadra azura et la défaite « delle francese ».à la prochaine coupe du monde. Les centaines de bâtonnets qui y ont été déposés depuis le matin se consument lentement, ajoutant une touche olfactive à ce site typique surpeuplé, ou vont et viennent pêle-mêle, touristes, marchands, passants, parfois vêtus du  traditionnel kimono. Des conducteurs, ou conductrices de pousse- pousse, chaussés de pattes de tissu proposent des courses en ville à un train plutôt surprenant, vue  la chaleur étouffante, tout en  se frayant passage entre les grappes humaines. L’accès au temple est difficile; l’entré en est autorisée, mais jusqu’à  un certain point, dans la mesure ou des grillages protègent les salles de prière ou sont rassemblées d’étonnantes statues magistrales, des collections de chaise à bras antiques, destinées à promener les dieux les jours de fête. De longues coursives latérales, nanties de tatamis, permettent d’accueillir la pratique du ZAZEN, (méditation assise). Les japonais restent plus longtemps que les touristes devant  les barrières grillagées, afin d’y faire une prière, accompagnée de battements de mains selon un rythme bien  précis, en trois temps, afin d’attirer l’attention des dieux, personnages par définition éthérés et donc peu disponibles pour le commun des mortels. Souvent, une pièce de monnaie est jetée dans le temple même, dans les fontaines  avoisinantes, ou au pied des innombrables statues déistes qui en ornent les pourtours. Je remarque que ni les statues, ni les pièces déposées ne sont jamais prélevées par qui que cela soit, bien qu’elles se trouvent à portée de main, au pied, ou sur le socle même des petites statues en pierre, dont chacune, aisément transportable, vieille de plus de centaines d années, doit valoir son pesant d or. Je déplore à nouveau  que les inscriptions ne soient proposées qu’en Japonais, une grosse partie des informations essentielles nous échappant. Au JAPON, la signalétique en général, soit toutes les inscriptions,  indications, panneaux, panonceaux sont constitués d un mélange de caractère KANJI, de caractères KATAGANA, et de HIRAGANA, plus modernes. Les caractères kanji, provenant du chinois, constitués par les verbes, les adjectifs .et les noms propres, servent essentiellement au descriptif. Les caractères hiragana, servent à adapter les caractères chinois à la grammaire japonaise; les caractères katagana sont utilisés pour adapter les nouveaux termes issus du vocabulaire occidental ayant rapport avec 1’évolution technique.  Il m’a été expliqué que pour parvenir à s’alphabétiser a peu prés correctement en langue nippone,  il convient de connaître environ 1800 caractères Kanji. Les connaisseurs apprécieront.

Nous retrouvons Takeda –San  après ce premier shopping et cette visite au temple, car il a mis beaucoup de temps à dénicher une place de parking. C est encore grâce aux reflets des cimes transalpines du crane de Francesco qu’il nous aperçoit au sommet des marches  du temple. Nous faisons ensuite une rapide halte dans un restaurant populaire de la galerie marchande, ou notre ami italien  choisit à nouveau  de ne pas manger, compte- tenu des agapes annoncées pour le soir. C’est alors qu’’incompréhensiblemnt,  Sensei nous fait alors rudement part de son légitime désir de cesser immédiatement non seulement tout shopping en notre compagnie, compte tenu d une évidente carence culturelle de notre part, mais d’étendre cette décision à tous les futurs groupes d’occidentaux avec lesquels il décidera de voyager. Semblant fâché à un degré extrême sans que notre déficit de culture comportementale japonaise ne nous  permette d’en saisir  la raison, il décide de rester seul à l’’hôtel, où il nous retrouvera, le soir même pour le diner d’adieux, programmé avec plusieurs stagiaires et les organisateurs.

Accompagnant en silence Sensei vers son hôtel, le temps de parcourir une des  galeries couvertes du centre commercial qui nous conduira à proximité des magasins,  nous marchons tous les cinq  les uns à côté des autres, occupant ainsi toute la largeur. Nous apercevons en face de nous, à l’autre bout, un groupe de japonais à l’allure surprenante. Celui qui manifestement est leur chef, arrogant quinquagénaire bedonnant vêtu d’un veste de smoking blanc immaculé  et d’une HAKAMA noire ( pantalon-robe d’entrainement en aïkido), les pieds nus, le nez chaussé de verres anti reflet, coiffé d’une imposante queue  de cheval, un fume cigarette en or vissé au bec, une main  posée sur la poignée d’un KODASHI à sa ceinture ( sabre court) l’autre tenant  celle d ‘un garçonnet , avance à grand pas larges et conquérant dans notre direction. L’enfant est accoutré d’une tenue complète  apparentée à la guerre des étoiles. De par et d’autres de ces deux personnages hors du commun, s’en tiennent deux autres, caricaturaux. Deux géants musculeux en marcels rouges laissant apparaitre leurs biceps veineux et leurs torses  musculeux, les bras et le cou  couverts de tatouages animaliers versicolores, le visage de toutes parts  percés par des anneaux ou des ferrailles variées, un NUNCHAKU (fléau agricole) à la ceinture, tiennent  chacun une ombrelle en paille de riz, l’une au dessus de l’homme, l’autre au dessus de l’enfant. Deux autres reitres du même acabit ,encore plus imposants ,  coiffés d’un chignon à la samouraï, vêtus de  jeans clairs hyper moulants , d’un gilet par balle anthracite,  ferment la marche, pieds nus , porteurs d’un immense KATANA en bandoulière  dans son fourreau (sabre long) et d’une arme à feu bien en évidence au  côté,  ne cessant de se retourner et de scruter, de derrière leurs lunettes sombres,  les proches alentours comme s’ils craignaient une attaque de NINJAS ( guerriers sbires ou bandits surentrainés à  toutes formes martiales). Comprenant à qui nous avions à faire, Sensei nous avertit juste à temps qu’il ne fallait en  aucun cas regarder les YAKUSAS, surtout dans les yeux, de peur qu’ils ne sentent provoqués et n’en viennent à des comportements extrêmes dont la violence et la barbarie constituent parmi  les plus gentils des mots, enfin, des maux qu’ils ont le science de déployer. Lorsque nous les croisons, le regard soigneusement apposé sur les dalles en  marbre  de la galerie, nous avons prestement cassé notre alignement horizontal, nous plaçant verticalement afin de leur laisser le champ libre, eux n’ayant ps esquissé le moindre pas de côté pour nous éviter, ni d’ailleurs ralentir quelque peu leur allure. J’ai senti leur dur regard  froid nous détailler, me demandant en accélérant à toutes fins utiles mon allure,  si je ne  venais pas de croiser une escouade médiévale tout droit sortie  d‘un film de KUROSWA. J’ai été  peiné de voir mon maitre ainsi  baisser les yeux et se soumettre. Sans doute  avait –il  pour cela de bonnes raisons.

Nous voici donc repartis tous trois en compagnie de Takeda-San, lequel  se mettra en quatre tout l’près midi durant pour nous emmener partout ou il lui semble que nous pourrons trouver ce que nous cherchons ou  sommes

susceptibles de faire de meilleures affaires, allant jusqu’à à obtenir remises et petits cadeaux .Comme nous n avons pas trouvé exactement tout ce que nous désirons, il décide de nous emmener en  plein centre ville, dans une des grandes surfaces les plus chics de TOKYO, ou les prix nous paraissent assez chers notamment en ce qui concerne tous les objets laqués: ceci me permet de comprendre pourquoi il ne sont pratiquement plus importés en France. Nous sommes de retour à l’hôtel vers 19h00, ou nous attendent SAWAI SAN, KEN SAN et IYO SAN, un organisateur et les deux jeunes stagiaires de Pesc. Chacun deux s approche, un cadeau pour l’un d’entre nous  nous en main. Il s’agit d’objets  traditionnels fort prisés par les touristes,  comme des pinceaux de calligraphie, des baguettes gravées, des clochettes ou des éventails, tous offerts avec une  profonde gentillesse. Heureusement, nous avions, nous aussi, prévu quelques munitions françaises de la Drome essentielle ou de Toscane, qui nous permirent, à notre tour, de manifester notre gratitude et notre contentement d’avoir suivi ce stage en leur compagnie. Le départ est « très rapidement » donné par SENSEI, pour le restaurant, ou nous rejoint  SAWA1-SAN .Cette soirée d adieu, autour d un autre festin mémorable rassemblant en triple, quasiment toutes les victuailles dont nous avions fait jusqu’à maintenant la connaissance, plus d’autres dont je ne me rappelle plus exactement, sans doute à cause du saké versé systématiquement dans de petits verres innocents en apparence, mais à la fin de la soirée difficiles à porter droit.

La soirée se termine dans une brasserie ou nous est servi un sorbet glacé rafraîchissant. Le retour à l’hôtel se fait d’un pas mal assuré et louvoyant par le dédale des petites rues du quartier, écrasées par la canicule nocturne. Rendez vous est fixé le lendemain matin par Sensei, avec armes et bagages, à 7h 00  notre vol étant programmé à 11h00.  Cette deuxième nuit en chambre individuelle est on ne peut mieux venue, car ce soir la, la pente de la montagne qui ne bouge pas, même par fort temps, imprégnera longtemps mon sens personnel de l’équilibre, moi qui deviendrais un jour un éminent docteur en collapsologie. \

VENDREDI I6 AOUT 2002.

Les vapeurs d’une aube plutôt hostile fort heureusement occultées par une obscurité autant intrinsèque qu’extrinsèque  entravent ma tentative de perception de l’heure me sembla t-il,  à  07h-11.  Pourtant, Francesco, qui avait moins avalé de saké que moi, m’avait promis de me réveiller à cette heure ci !! C’est curieux, lui si scrupuleux et si méthodique ! Il doit sans doute être malade ! Il  ‘appartient donc d’aller vite le réveiller. Me ruant à l’étage inférieur où je crois que  se trouve sa chambre, je tambourine à sa porte  suffisamment longtemps pour me trouver nez à nez avec un japonais d’âge respectable, lequel vêtu d’un caleçon à fines rayures roses, m’engueule véhémentement dans un japonais suffisamment explicite pour me faire comprendre que je me suis trompé de chambre. Francesco, réveillé par  le raffut, pointe son nez à la porte voisine,  perplexe, puis, attirant mon attention sur le  fait qu’on ne vient pas emmerder les gens, à cinq heures du matin. Je dois sans doute  avoir besoin d’un café ou deux ! Mais je réalise avec effroi que la salle à manger ne sera ouverte qu’à partir de sept heures, pire, que de toute façon, j’ai encore perdu ces tickets bleus…ou peut être roses, à moins qu’ils ne soient  jaunes. Il  ne me  reste plus qu’à remonter dans ma chambre, pour tenter d’y retrouver le sommeil, ce qui ne fut pas vraiment difficile.  Des coups sourds répétitifs me tirent très vite de ma léthargie. Francesco est venu me réveiller, inquisiteur, cherchant à savoir pourquoi je l’avais réveillé à cinq heures au lieu que lui ne le fasse aux  sept convenus et  pourquoi je n’étais pas encore levé à  huit ! Horrifié par la perspective de subir les foudres de mon maître et flanquer tout le monde en retard au risque  de louper notre vol, je me rue sur mes affaires que je bourre à la va vite dans ma valise, me vêtant à peu prés de la même manière. Francesco, qui s’était absenté quelques instants, revient très gentiment quelques minutes après, apaisant, muni d’une bouteille d’eau minérale française, prélevée sur un des distributeurs de l’hôtel, m invitant à l’absorber entièrement et à me calmer, me rassurant sur le fait que Sensei ,Alan et Takeda San étant tous occupés à ronfler comme des sonneurs dans leur chambres respectives, l’heure de rendez vous serait naturellement repoussée.

Tout le monde est là, à peu près une heure après celle fixé pour le petit déjeuner. Je demande à chacun de mes collègues qu’il prenne  au buffet un café supplémentaire, afin que je n’en sois pas privé compte tenu de mon eternel déficit de ticket mauve.

Takeda San, toujours fidèle a son poste de conduite hachée nous conduit à l’aéroport dans les derniers soubresauts de notre séjour au Japon .Les formalités de douane, de passeport, d’émigration sont effectuées, comme à l’arrivée très rapidement et efficacement. L’heure de la séparation a sonné. Sensei semble content de rentrer. Nous congratulons tous Takeda San, le remerciant chaleureusement pour son accompagnement et son dévouement, nous gardant bien, malgré l’envie que tous avions,  de lui demander s’il avait obtenu son permis de conduire lors d’une course  de stock cars ou d’un heureux tirage au sort . Nous nous envolons, comme prévu, vers 11h30. Notre voyage de retour s’effectuera paisiblement et agréablement. Notre arrivée à CDG, aéroport à l’organisation. ..différente, dirais-je, de celle de Tokyo Narita,  est empreinte de quelques imprécisions et  difficultés liées à l’orientation vers la sortie,  puis, la  récupération des bagages. La séparation est très rapide, trop, à mon sens, Sensei devant « très rapidement » rentrer chez lui, Francesco ayant un vol en correspondance pour Milan, Alan devant sauter dans un train pour Orléans. Tous me font  promettre que je relaterai, par le menu, ce  petit, mais inoubliable périple.

Au revoir, sans doute, même, adieu, Japon ! Il est en effet peu probable que je revienne un jour sur ton sol ! Notre périple ne marquera certes pas le cours de ton histoire, comme le fit en son temps, le Capitaine Perry, ô etit Pays  Nippon. Je t’ai, pour ma part, perçu comme une Grande, forte et fière Nation de par ta beauté insulaire naturelle, de par ton indépendance, ta tradition de fond toujours prédominante malgré les ravages émanant des modes occidentales, de par ton culte incessant de la justesse et de 1’efficacité, de par l’atavique dignité de toutes les couches sociales de tes habitants, de par ta constante quête du beau, par le simple, mais le vrai, l’authentique, le pérenne . C’ est pourquoi, tu occuperas dorénavant une place de cœur dans ma propre histoire.\

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Alan, qui de longue date, partage cette analyse, a d’ores et déjà décidé d’y retourner dès ce mois de Décembre, pas forcément pour la pratique des arts  martiaux, sa rencontre avec Chi Saki, cette belle japonaise, appelant d’incontournables retrouvailles. Celles-ci auront de toute manière  ceci de positif quelles pourront sans doute  lui éviter d ‘aller s’y faire casser le bras gauche. Francesco, lui, n’a pas manqué d’observer que les footballeurs japonais, de par les spectaculaires progrès réalisés grâce à un entraîneur français, ne pouvaient que représenter un   péril additionnel pour sa squadra azura, équipe italienne acceptant honorablement, la défaite, comme chacun sait.  Quant à Sensei,  il y a fort à parier qu’il doit se questionner, avec stupeur et en tremblement, à propos du  type d’ubuesques nuisances qqui pourraient bien être générées par le prochain groupe  d’occidentaux avec lequel il voyagerait  lors des mois à venir.


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